Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'écrivaillon
L'écrivaillon
  • Publication de textes, un peu de tout, avec un nouveau chapitre de roman tous les vendredis ! Le but est de tester des trucs, de s'amuser, donc vous pouvez (vous devez) pointer du doigt les défauts mais ne vous prenez pas trop la tête :) Toolite, Emili
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Pages
26 décembre 2014

Hirokane chap 3 bis

Hellow ! Pour une fois ce n'est pas Emili qui vous parle mais sa comparse. Vous vous demandez surement pourquoi un chapitre 3 bis en plus du 3 ? Pourquoi pas un chapitre 4 directement ? Tout simplement pour que vous vous posiez la question ! Et plus sérieusement, pour apporter un éclairage pour la suite. Bonne lecture et à l'année prochaine !

Chap 3 (bis)

 

Beaucoup de gens apprécient la pluie quand ils sont à l’intérieur, un bon chocolat chaud dans les mains, collés au chauffage. Hiro faisait partie de ces gens, avant. Dernièrement son avis avait quelque peu changé. Maintenant, quand les premières gouttes commençaient à tomber, elle se rappelait qu’elle n’avait nulle part où se réfugier, plus de toit sur la tête. Il ne lui restait qu’à trouver un endroit où se cacher, plus ou moins à l’abri, un endroit qui ne lui donnerait pas l’impression de dormir dans une immense flaque d’eau.

Rapidement, elle était allée chercher ses affaires, cachées dans un conduit de ventilation. Depuis le temps, elle s’était fait un liste de lieu où elle pouvait aller, c’est tout aussi vite qu’elle alla se réfugier dans un parc, s’allongeant sur l’unique banc d’un petit patio. La nuit était tombée depuis un moment, il n’y avait plus personne ici, pas même des promeneurs égarés. Juste elle, le silence et un petit lampadaire pour lutter contre l’obscurité. La température chuta soudainement, Hiro sortit un pull du gros sac qui contenait sa vie et se recroquevilla. Les nuits étaient de plus en plus froide, mais rien de comparable à ce qui allait arriver, en hiver. La délinquante sortie finalement un paquet de cigarette et en glissa une entre ses lèvres, avant de l’allumer et de sortir une bouteille de vodka bien entamée. Le soir, elle ne pouvait plus faire semblant d’être quelqu’un de normal, arpenter les rues comme n’importe qui, causer avec des inconnus, boire un café en terrasse. Quand la nuit se mettait à tomber, que chacun rentrait chez soi pour regarder un bon film avant de dormir, elle n’avait nulle part où aller. Et tout le temps pour y réfléchir.

 

Trois jours plus tôt, elle s’était brouillée avec cette fille, cette Akane. Elle n’y avait pas repensé depuis, enchaînant les fêtes sans interruption. Un bon moyen pour faire passer le temps, et surtout pour crécher chez des inconnus sans que ça ne choque. Parfait pour ne penser à rien d’autre aussi, mais ça ne pouvait pas durer éternellement. Hiro sentit la chaleur remplir ses poumons, elle prit une grande inspiration pour l’emprisonner et ferma les yeux. Quand elle expira finalement, un nuage de fumée grise accompagna son souffle. Ce qu’elle pouvait se sentir seule quand tout s’arrêtait. Comme elle avait été bête de penser que cette fille pourrait voir au dessus des apparences, l’être humain caché derrière l’image qu’elle véhiculait. Au final, Akane était une fille un peu atypique aux premiers abords, mais comme les autres en profondeur ; superficielle et soucieuse de sa réputation, du “qu’en dira-t-on”. Hiro installa son sac à un bout du banc, posant finalement sa tête sur ce coussin de fortune. Sous ses yeux, pas de ciel étoilé, juste un plafond morne et quelques toiles d’araignées. Elle jeta sa cigarette avant d’en rallumer une autre ; la dernière du paquet. Elle allait devoir en racheter demain, ça et quelque chose pour l’aider à dormir. De quoi manger aussi, la faim la tiraillait depuis un moment mais elle n’avait plus une miette. Avec quel argent ? Elle pouvait peut être faire la manche, à côté d’un petit café en centre ville. Non, c’était la porte ouverte à tout le reste. Bientôt elle allait devenir comme tous les autres sans-abri du coin : sale, puant et misérable. Hiro n’avait pas la force d’attendre toute la journée la générosité de quelqu’un, sans rien faire d’autre que de voir les gens passer et la regarder de haut avec tout le mépris du monde. La délinquante fit glisser une longue gorgée de Vodka dans sa bouche, grimaçant en sentant le liquide tout brûler sur son passage.

- Ah putain, ça désinfecte.

Les autres gorgées ne lui tirèrent plus d’expression particulières, petit à petit elle ne sentit plus grand chose, ni le froid, ni la faim, ni la lourdeur de sa vie. Juste de la chaleur et l’impression d’être dans un manège qui tourne à vive allure. Elle ferma les yeux, faisant disparaître la sensation de vertige pour se baignait dans cette douce chaleur, son esprit éteint, allergique à la moindre pensée.

 

Le lendemain, la petite délinquante avait recouvré ses esprits et se mit en tête de passer sa matinée dans la plus grande artère de la ville, suivant les passants les plus méfiants, les plus visuellement riches jusqu’à trouver une cible qu’elle prit en chasse. Dès qu’elle quitta le boulevard, Hiro mit la capuche de sa veste et se mit à courir, attrapant le sac à main d’une main experte avant de s’enfuir le plus vite possible, dans des ruelles qu’elle connaissant comme sa poche, caméra de sécurité inclue. Une seconde d’intimité lui permis de fouiller dans le sac pour trouver le porte feuille, récupérer tout l’argent qu’il contenait et repartir en laissant le reste dans une benne à ordure. Ce genre d’actes sauvages lui étaient devenus familier, si bien qu’elle les faisait sans le moindre remord. C’était ça ou revendre de la drogue, tout le reste lui était impossible. Ce jour là, cependant, elle se laissa glisser le long d’un mur, écrasé par le poids de la culpabilité. Akane la guerrière désapprouverait ça, elle lui sortirait sûrement quelque chose sur la foi en l’homme, les limites morales infranchissables ou quelque chose d’aussi con. Si seulement c’était aussi simple … mais rien n’était simple depuis qu’elle avait eu l’idée folle de s’enfuir de chez elle. Depuis longtemps, elle n’avait plus le luxe de se payer une morale.

 

******

 

La tanière de Diego était un vieil appartement déglingué et plus que rudimentaire,  dans un coin perdu de la ville, trop mal fréquenté pour qu’on y tombe par hasard. Mais ce n’était pas là où il vivait, plus un bureau pour recevoir ses clients sans trop se mettre en danger, le genre de détail qui rappelait que c’était un type intelligent sous ses airs d’amateur. Hiro toqua, alternant des coups court et long intentionnellement. La petite tête du mexicain apparue, arborant la casquette de l’équipe locale de baseball. Il lui ouvrit en grand, lui tournant le dos pour aller éteindre la télé où passait un match. C était devenu une routine entre eux, mais la délinquante le trouvait toujours trop confiant, comme s’il oubliait tous les risques de son métier au premier client vaguement sympathique venu. Diego alla s’asseoir sur un canapé en cuir, invitant Hiro à prendre place en face, sur un deuxième canapé largement usé par le temps. Une table basse les séparaient, où on pouvait voir un cendrier à moitié plein et un grand morceau de papier retourné. Hiro se demanda vaguement ce que ça pouvait être avant de se rappeler les raisons de sa visite. Elle posa une liasse de billet sur la table. Le dealer compta méthodiquement l’argent, avec une lenteur mesurée.

- De quoi dormir, de quoi m’amuser et de quoi être peinard.

Il ne manquait que le “s’il-vous-plaît” et on aurait tout à fait pu croire qu’elle était en train de faire ses courses. Diego releva les yeux, la fixant un instant, l’air de réfléchir, avant de continuer à compter. Sous la table basse, il ouvrit un petit tiroir caché d’où il sortit une boîte de comprimé orange, caractéristique de leur pays, un gros sachet remplit d’herbe et un plus petit, rempli d’une poudre blanche qui n’était pas de la farine.

- T’étais vraiment à sec, dis moi … Enfin, comme tu payes cash pour une fois, je te fais un petit prix d’ami... T’es allé voir quelqu’un d’autre, c’est ça ?

Hiro leva les yeux au ciel, attrapant son dû pour le glisser dans sa poche, sans prendre la peine de répondre au mexicain qui se mit à sourire, ne comptant visiblement pas en rester là.

- C’est quand même amusant. Tu as tout du cliché du junkie de base ; une situation tellement merdique qu’il ne te reste plus que ça pour vivre en ce bas monde. Et pourtant, tu as une consommation étonnamment faible, encore plus que certains étudiants.

- Viens en au fait, je n’ai pas très envie de passer ma journée à discuter de la quantité que je me colle dans le sang dans une journée.

Diego joignit les mains, les frottant l’une contre l’autre machinalement. Son visage habituellement tranquille s’était tendu, ce qui ne présageait rien de bon et agaçait Hiro au possible.

- Tout ça m’a mit la puce à l’oreille, tu sais à quel point j’aime pouvoir faire confiance à mes clients. J’ai fait quelques recherches sur toi … Je pensais que t’étais flic en mission ou quelque chose du genre. Et au final tu es … bien pire que ça. Je sais qui tu es, ce que tu as fait.

- Permet moi d’en douter, sinon tu aurais conscience que tu te condamnes à une mort certaine en me disant ça.

Hiro s’affala sur son siège, posant sa tête sur son poing fermé, une expression indéchiffrable au visage. Le dealer déglutit, cherchant à se redonner un semblant d’assurance avant de continuer :

- Tout de suite les menaces, laisse moi te montrer quelque chose et tu changeras d’avis.

La curiosité de la délinquante fut satisfaite, le papier sur la table fut retourné, laissant apparaître une carte de la ville criblée d’inscription au feutre noir. Diego trépignait maintenant d’une assurance infantile.

- Je vais agrandir mon territoire au delà du campus, dans ce quartier … et celui-ci. Actuellement il n’y a que des petits, je n’aurais pas de mal à les écraser rapidement ou les mettre sous ma botte. Surtout si je t’ai à côté, comme homme de main pour faire le …

Pas le temps de finir sa phrase, il s’était déjà prit un coup de poings dans le nez et Hiro l’attrapa par une oreille pour l’entraîner vers elle, l’allongeant sur la table où elle put continuer à le rouer de coup. Du moins, jusqu’à ce qu’elle sente le métal froid sous son menton, ce qui l’arrêta net et lui délia la langue, plus pour détourner son attention que par réelle envie de lui parler :

- Tu as la chance d’avoir un petit réseau tranquille, sans ennemi pour chercher la merde ni personne à qui rendre des comptes. Même les flics te regardent à peine. Profite de ta putain de situation, ne provoque pas une guerre de territoire qui va juste de foutre dans un bordel monstrueux, et surtout ne t’avise pas de m’impliquer dans tes conneries. T’as pas la carrure pour faire ça, crois moi.

- Tu ne me connais pas, et tu n’es pas en position de me donner des ordres.

- Oh que si ! Le fait que tu n’aies pas tiré m’en apprend déjà beaucoup sur toi. Tu n’as jamais tué personne, pas vrai ? Moi tellement que j’ai perdu le chiffre. Ce qui t’éclates, c’est de faire la fête avec de l’argent facilement gagné. Si tu grossis ton champ d’action, tu augmenteras tes revenus, tu auras une équipe à ta botte comme dans les films, mais tu devras aussi regarder par dessus ton épaule toute la journée, tu vivras sous des menaces de morts constantes et ça ne fait aucun doute que tu crèveras jeune, comme un rat. Si tu ne finis pas au trou.

Un long silence suivit ce monologue, Hiro avait lâché Diego qui, lui, avait baissé son arme. Chacun s’assit d’un côté du canapé, sans se regarder. Il se passa peut être cinq minutes avant que le mexicain ne pioche dans son tiroir magique une pincée d’herbe qu’il roula consciencieusement avant de l’allumer. Il le tendit à Hiro avant d’entreprendre d’en faire un deuxième pour lui.

- J’étudiais ici, avant. Des cours d’éco et de communication, juste dans l’idée de me faire du fric peu importe le boulot. Mes parents sont morts quand j’étais jeune, j’ai vécu chez ma tante jusqu’à l’université. Comme je ne voulais rien lui devoir, j’ai du me payer mes études autrement, en vendant du shit aux autres étudiants. Je me suis rapidement fait connaître, parce que c’était du fait maison et que j’étais très pro, une vraie petite entreprise. J’ai continué après la fac, en me diversifiant pour satisfaire la demande. Les étudiants sont vraiment des clients en or, ils payent cash et ne réfléchissent pas beaucoup, tout ce qu’ils veulent c’est s’amuser en profitant de l’absence des parents … Enfin je t’apprends rien, hein ?

Diego adressa à Hiro un petit clin d’oeil et un coup de coude dans les côtes. La délinquante soupira avec un petit sourire. Elle ne cachait pas sa manière de faire ; aller voir les petites de première année pour titiller leur désir de rébellion, des coups faciles, mais elle ne cherchait pas le challenge. Sa colère était tombée presque aussi vite qu’elle était montée, la laissant étonnement calme.

- C’est ça ton problème, t’es pas un mauvais type. Tu pourrais pas tenir longtemps dans la cour des grands. En plus tu saignes du nez.

Comme s’il s’en rendait à peine compte, le garçon se rua vers un mouchoir pour nettoyer les dégâts. Hiro l’avait bien amoché, mais il était visiblement plus résistant qu’il en avait l’air.

- Toi non plus, t’es pas une mauvaise nana …

- Moi y avait personne pour me dire que j’allais faire une connerie irréparable.

- Une entreprise, c’est fait pour grandir. J’aurais bien voulu être riche, en ce moment ça va mais je met pas grand chose de côté, j’peux me carrer ma piscine dans le cul… C’est si affreux que ça, ce monde ?

Hiro hocha vaguement la tête, les yeux fermés, bercé par le contenu de ce qu’elle était entrain de fumer. Le monde était trop cotonneux pour qu’elle y pense, mais elle n’oubliait pas ce qui l’avait mené ici, ce qui la suivrait toujours où qu’elle aille, tapis dans l’ombre en attendant une erreur de sa part.

- T’as un tatouage ?

Sans attendre la moindre réaction, Diego essaya de soulever la manche de la veste d’Hiro qui le repoussa, lui expliquant qu’elle l’avait fait enlever durant sa fuite. Il paraissait déçu, ce qui fit sourire la japonaise un peu plus.

 

******

 

La journée terminée, Hiro était soulagée d’un poids sur la conscience ; Diego ne la vendra pas. C’était un soucis de moins qui pouvait lui permettre d’aborder la vie avec plus d’optimisme. Ou pas. En fait ça ne changeait strictement rien, une goutte d’eau dans l’océan. Ce qui avait été le plus positif dans cette journée, c’était la douche qu’elle avait prise dans les vestiaires de la salle de sport, son havre de paix. A force d’y aller, c’était presque devenue une habituée, personne ne remettait en question sa présence et, en même temps, personne ne la remarquait vraiment. Mais il fallait bien repartir, le soir venu et retourner dans la rue, comme toujours. Il y avait une énième fête ce soir, comme presque tous les jours, Hiro n’était pas d’humeur à s’amuser, mais elle ne voulait pas non plus retourner sous la pluie comme la veille, il faisait bien trop froid pour ça.

D’un air absent, elle observa les lettres grecs sur le fronton de la maison sans les comprendre. Elle connaissait deux écritures, c’était largement suffisant. Le bruit de la fête l’atteignait déjà, il y avait beaucoup de mouvement, déjà quelques personnes ivres qui brayaient sur la pelouse. Parfois, elle avait du mal à se dire qu’elle était plus jeune que la majorité de ces gens, et puis elle se rappelait qu’elle ne serait pas plus glorieuse dans une heure, après quelques litres de bière dans le sang. Hiro posa un peu de poudre sur le dos de sa main avant de la porter à son nez.

 

La lumière filtrait entre ses paupières closes, tirant la délinquante de son mini coma. Quand elle ouvrit finalement les yeux, elle ne reconnu pas tout de suite l’endroit, c’est en voyant le nombre impressionnant de cadavre qui l’entourait qu’elle se remémora de la veille. Hiro se redressa dans un râle, se frottant le crâne. Quel mal de tête affreux, elle ne se souvenait absolument de rien. Tout ce qu’elle pouvait dire, c’est que ça avait été assez mouvementé pour qu’elle se réveille affalée sur une table, dans une position improbable. C’était l’heure de tirer sa révérence, avant que les autres épaves ne se réveillent. Pour rien au monde elle ne voulait qu’on la remarque plus que nécessaire, elle voulait rester la fille un peu bizarre, anonyme parmi les anonymes de cette immense université, une ombre dont un parle mais qui n’existe pas vraiment. Elle emporta avec elle un bol encore plein de cacahuète et disparu dans les couloirs. La pluie avait cessée, un petit soleil timide montrait le bout de son nez, c’était presque une belle journée qui s’annonçait.

 

Hiro recula d’un pas, restant cachée dans l’angle d’un mur. D’un regard furtif, elle vérifia son premier sentiment. Oui, c’était bien Akane là bas, accompagnée d’un grand blond qui lui faisait la discussion. Comme prévu elle s’était fait des amis, des gens normaux avec qui elle pourrait tranquillement voir passer ses dernières années d’étude. Mieux valait qu’elles ne se recroisent pas pour autant, elles n’avaient plus rien à se dire, de toute façon. La délinquante resta un moment là, à la suivre des yeux alors qu’elle s’éloignait. La petite douleur qu’elle ressentait dans la poitrine quand elle repensait à cette fille redoublait d’intensité, la seule personne à qui elle avait eu envie de faire plaisir depuis longtemps. La seule qu’elle voulait voir sourire, et aussi la seule à avoir montrer un semblant d’intérêt sincère pour sa personne, du moins dans cette foutue université. Akane entra dans une salle et disparue complètement, Hiro repartit tout de suite après, trouvant le ciel bien nuageux, tout à coup. Elle traîna son amertume le reste de la journée, jusqu’au banc où elle s’installa à la nuit tombée. Mais elle n’eut même pas le temps de s’endormir, tout juste d’entrer dans un état de somnolence avancée avant qu’un bruit ne la dérange. Les rues n’étaient plus vides, elle n’était pas seule.

D’un oeil discret, elle chercha à savoir qui venait interrompre son semblant de sommeil. Au loin, arrivaient trois hommes, brayant et titubant. Hiro ne bougea pas d’un pouce, priant pour ne pas être remarquée. Elle n’avait pas peur, mais elle était agacée d’avance, sachant pertinemment ce qui allait arriver, s’ils la voyaient.

- Regardez ! Un clodoooo !

Merde. Hiro se retourna sur son petit banc, leur tournant le dos.

- Rooo aller, tu peux pas dormir avec tout le boucan qu’on fait !

Une deuxième voix, au timbre encore plus juvénile que la première. Il ne fallait pas être Shelock Holms pour comprendre que c’était des jeunes complètement bourrés, inconscient de ce qu’ils faisaient. C’était bien ça le problème, l’alcool rend idiot, et il n’y a rien de pire que d’assister, sobre, à ses effets. Enfin bon, maintenant c’était trop tard pour esquiver ce qui allait suivre, Hiro se mit dans une position assise, lasse d’avance, écoutant à peine ce que pouvait sortir d’intelligible leurs élucubrations. Surtout, elle ne prenait pas la peine de répondre à leurs questions, réagir à ce qu’ils pouvaient dire. Mieux valait ne pas engager la moindre discussion, ça ne ferait que les inciter à continuer et, tout ce qu’elle voulait, c’était retourner dormir. L’un d’eux, le plus petit et agité des trois s’approcha plus que les autres dans un fou rire. Il alla s’asseoir à côté d’Hiro qui sentit un flash dans sa direction. Une photo ? Sérieusement ? Bande d’abruti.

- Ah mais les gars, c’t’une fille en fait !

Allez savoir comment il s’en ai rendu compte sous l’épaisseur de sa veste qui refermait trois couches de vêtements, peut être une mèche de cheveu un peu trop longue sur son épaule ou juste la féminité des traits de son visage. Quoi qu’il en soit, Hiro le repoussa hors du banc, le jugeant un peu trop près de sa personne. Grave erreur, c’était le truc à pas faire. La japonaise s’en mordit la lèvre de rage, un réflexe complètement stupide qui écrivait définitivement la suite de la soirée.

- Oh mais calme toi là ! D’où tu’m’pousse ?

La garçon se releva, pour la pousser aussi. Hiro se laissa faire, se murant dans son mutisme et son immobilité alors que ses trois compagnons étaient plus en train de se monter le chou tout seul, s’échauffant dans des offusquassions et des insultes disproportionnées. Finalement, l’un d’eux se décida à lui coller un gifle, cherchant à ébranler la statue qu’il avait en face sans y parvenir. Hiro s’enferma dans une bulle intérieure où personne ne pouvait l’atteindre, surtout pas les coups qui commençaient à fuser sur elle. Elle ne pouvait pas leur répondre, si elle le faisait, elle serait incapable de voir la limite à ne pas franchir. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était accuser le coup en position foetale, supporter ce mauvais moment à passer et ensuite elle pourrait retourner à sa vie misérable de junky sans-abri.

- Hey non, pas ça !

Entre ses doigts, elle avait vu un des types attraper le gros sac qui contenait toutes ses affaires, le glissant sur son dos. C’est à ce moment là qu’elle comprit ce qu’il avait marmonné quelques secondes plus tôt “on te prend ça pour te punir”. Tout, mais pas ça. Hiro se releva d’un bond, l’attrapant par les épaules pour lui flanquer un magistrale coup de boule. Elle avait une conscience parfaite de son environnement, visualisant l’emplacement de chacun de ses adversaires, la distance qui les séparaient, leur gabarit, leur puissance, elle prit tout en compte dans la seconde, à commencer par l’état d’ébriété avancé dans lequel ils étaient. Un coup de pied dans le foie pour le second des abrutis et un coup de coude dans le plexus scolaire pour le dernier. Mais déjà, le premier lui fonçait dessus, ne prenant même pas la peine de se relever totalement pour essayer de la plaquer au sol, chose qu’il réussit à cause du trottoir où Hiro trébucha.

 

Un bruit strident arrêta net la délinquante qui leva la tête. Une fenêtre allumée dans les immeubles d’en face, avec une petite silhouette noire qui les observaient. C’est tout ce qu’elle eu le temps de voir avant d’entendre les sirènes de la police se rapprocher dangereusement. Elle se fichait bien de savoir si cette femme avait voulu l’aider pour arrêter le passage à tabac ou simplement faire disparaître un tapage nocturne nocif à son sommeil, et ça lui était bien égal. Hiro poussa l’idiot qui l’écrasait de tout son poids sur le côté, il l’aida beaucoup en essayant lui aussi de se relever. Au bout de quelques secondes, tout le monde partait dans des directions différentes, celui qui tenait encore son sac allait droit vers la voiture de police, le débile. Tant pis pour ses affaires, elle ne pouvait pas rester là et prendre le risque de se faire coffrer, même en tant que victime. Ils allaient lui demander son identité, ses origines, trouver la drogue, chercher dans son casier judiciaire et trouver qui elle était. Plutôt la rue que la prison. Mais la rue sans ses affaires n’était pas facile pour autant. Elle avait mit des mois à accumuler tout ça, fouillant dans les poubelles en y laissant sa dignité, récupérant tout ce dont les gens ne voulaient plus. En tout il y avait des vêtements, quelques pièces, un peu de nourriture, toute sa drogue, deux bouteilles de rhum et une de vodka. Hiro se prit la tête entre les mains en soupirant, insultant dans sa tête les trois responsables de sa perte. Quand elle les retira, elle remarqua le sang qui y était présent. C’est vrai qu’elle avait sacrément mal un peu partout, ils lui avaient pourri l’arcade sourcilière et tout un tas d’autres choses qu’elle ne pouvait pas voir sans se déshabiller complètement, juste sentir d’une manière diffuse. Hiro observa un moment les dégâts dans le rétroviseur d’une voiture. Son visage avait été protégé par ses mains, il n’y avait rien de grave à déplorer mis à part l’arcade ouverte qui pissait le sang. En vissant bien son bonnet sur sa tête, elle pouvait le cacher. Au final, elle se fichait un peu de l’avis qu’on pouvait avoir d’elle, qu’on la regarde bizarrement ou qu’on ne la remarque même pas. Mais la part d’elle qui s’accrochait à un semblant de vie sociale et festive n'assumait pas la réalité de sa condition, préférant se faire croire qu’elle était une fille normale, passer pour une étudiante un peu mystérieuse dans le campus plutôt que pour une clocharde dans les grandes artères. Quoi que, avec la réputation qu’elle se traînait déjà, l’idée qu’elle se soit battu ne serait pas si surprenante, au contraire, ça collerait même plutôt bien.

- Va draguer avec un bleu au menton, sérieusement …

Hiro soupira de nouveau avant de se relever, le plus important était de trouver un nouveau coin où dormir.

 

Personne ne fit trop attention à elle dans les jours qui suivirent. Elle avait abandonné ses couches de vêtements dans un sac plastique, dans le même conduit de ventilation que d’habitude, arborant une veste tout à fait banale et son bonnet. Tout au plus deux-trois regards interrogatifs quand quelqu’un remarquait son bleu, mais dans le fond tout le monde s’en foutait, elle aurait bien pu crever sur le pavé sans soulever la moindre réaction autour d’elle. Les plaies se refermèrent petit à petit, mais sa condition générale ne s’améliora pas vraiment. La pluie recommençait à tomber, une véritable inondation. Hiro était tout le temps mouillée, incapable de se changer pour porter des vêtements secs, il fallait attendre que ça sèche tout seul. Elle avait froid, l’air était humide autour d’elle, c’était absolument insupportable. La nuit surtout, quand elle ne pouvait plus se cacher dans les magasins, profiter du chauffage ou de la ventilation. Rapidement, la japonaise commença à se sentir mal, à force d’être continuellement mouillé. Elle n’avait plus la force de parcourir la ville de long en large, de chercher des coins vides sur des kilomètres, elle était bien trop fatiguée pour faire un pas de plus, choisissant des coins de plus en plus pathétique pour dormir, comme des coins de rue, des porches, un peu n’importe où en fait. C’est comme ça qu’elle tomba sur Akane, ou plutôt que l’étudiante lui tomba dessus. S’il y avait bien une personne au monde à qui elle ne voulait pas se montrer dans cet état, c’était bien elle.



Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité