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L'écrivaillon

L'écrivaillon
  • Publication de textes, un peu de tout, avec un nouveau chapitre de roman tous les vendredis ! Le but est de tester des trucs, de s'amuser, donc vous pouvez (vous devez) pointer du doigt les défauts mais ne vous prenez pas trop la tête :) Toolite, Emili
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11 novembre 2014

Bonjour, bonsoir !

Je suis pas une experte en blog mais j'pense que ça doit commencer par une introduction. C'est un peu comme une conversation, la manière dont tu te présentes, dont tu salues ton interlocuteur, ça fait une grosse partie de la première impression. Sauf...
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2 janvier 2015

Hirokane Chap 4

Il est tout beau, il est tout chaud et il vous souhaite bonne année. C'est le quatrième chapître de l'histoire d'Hiro et Akane. Bonne lecture !

 

Chapitre 4

 

Le temps s’était figé l’espace d’un instant et une petite bulle semblait s’être formée autour des deux jeunes filles. Akane ne savait pas vraiment ce qui l’avait poussée à faire ça, mais elle ne regrettait pas son geste, pour une fois. Voir Hiro ainsi marquée à vie était la goutte de trop, celle qui avait fait déborder le vase de ce qu’elle pouvait supporter. Maintenant, elle en avait la certitude, elle aiderait cette fille quoi qu’il lui en coûte. Akane s’attendait à se faire repousser vu l’attitude habituellement froide et distante de la délinquante, mais au lieu de ça, elle eut la surprise de sentir les bras d’Hiro se resserrer autour d’elle. L’étudiant se mit à sourire légèrement, profitant de la chaleur et de la douceur de cette étreinte avant qu’un éclat de rire dans le couloir ne vienne briser cette fragile bulle de sérénité. Akane se recula en bafouillant, réitérant sa demande auprès de la japonaise qui hocha simplement la tête.

 

La magie de l’instant était brisée, mais ça n’avait pas d’importance, l’étudiante était soulagée d’avoir eu cette discussion, elle était enfin en phase avec elle-même, libérée d’un énorme poids. D’un coup d’oeil vers l’horloge, elle constata l’heure avancée et se tourna vers Hiro qui n’avait pas bougé, lui expliquant qu’elle devait aller se doucher. C’était difficile de retourner à des préoccupations aussi banales après une discussion aussi intime et profonde, le temps lui avait paru s’arrêter, mais elle avait tord ; la terre avait continué à tourner sans elles.

“J’en ai pas pour longtemps … euh fais comme chez toi, même si c’est pas le grand luxe ici …”

L’étudiante s’éclipsa rapidement et traversa le couloir aussi vite que possible afin d’éviter les rencontres fortuites. Elle détestait l’idée de croiser d’autres personnes dans les douches ou pire, après, vêtue de son magnifique pyjama rose à motif de lapin. “Merci maman …” souffla-t-elle intérieurement. Les douches étaient forte heureusement désertes. Akane entra et se lava en une dizaine de minutes avant de revenir dans la chambre, les cheveux encore mouillés. Elle resta quelques secondes devant la porte, sans oser entrer. Et si Hiro avait profité de son absence pour partir ? Ses réactions étaient tellement imprévisibles que tout devenait possible, même si elle avait donné l’air de coopérer. Et si elle ne voulait pas être aidée, tout simplement ? Avec son caractère solitaire et mystérieux, c’était peut être un choix de vie, finalement. Cette idée lui glaçait le sang, elle se dépêcha de passer le seuil pour en avoir le coeur net.

 

Hiro l’attendait tranquillement dans un coin, un livre sur les genoux, Akane soupira de soulagement. En fait, la japonaise donnait presque l’impression d’avoir pris ses marques dans la chambre de l’étudiante et de profiter d’un moment de calme au chaud, le visage débarbouillé comme par magie (ou plus vraisemblablement au dessus de l’évier). Quand elle leva la tête vers Akane, la délinquante se mit à sourire, puis à partir dans un fou rire incontrôlable en pointant le lapin. Le reste de la soirée se passa tranquillement, pour l’instant il n’était question que de parler de la pluie et du beau temps, Hiro ayant l’incroyable capacité de détourner la conversation avec brio à chaque fois qu’Akane essayait de l’amener à parler d’elle, notamment sur ce qui l’inquiétait ; l’origine de ces cicatrices qu’on ne pouvait pas manquer. L’aiguille de l’horloge avança doucement, s’approchant dangereusement du sommet de son cercle, et l’étudiante ne put plus se retenir de bâiller.

“T’as qu’à prendre le lit, je vais dormir sur le fauteuil … Bonne nuit !”

Sans laisse le temps à Hiro de protester, Akane la poussa sur le lit, se retenant de la border, et elle alla se jeter sur le fauteuil où elle s’enveloppa d’une couverture. Elle avait connu pire comme endroit où dormir, un sac de couchage dans le salon parce que les chambres étaient occupées par de la famille lointaine, le siège passager d’une voiture. Bref, ce fauteuil bon marché était un lit d’appoint parfait. Il n’y avait plus qu’à trouver le sommeil, mais elle ne s’inquiétait pas pour ça. Tout était en train de s’arranger, elle allait trouver comment aider cette fille à sortir de la rue et de la drogue, se concentrer en cours et réussir son année. Tout le monde allait être heureux, tout allait être parfait.



*****************

 

Le dortoir était plutôt calme de nuit, en dehors des quelques étudiants qui rentraient de soirées, ou partaient, sans avoir connaissance de l’heure Akane n’en était pas certaine. Mais quelque chose était en train de la tirer de son sommeil, un bruit qui ne venait pas de l’extérieur. La brunette releva la tête et cligna des yeux, tentant de distinguer quelque chose dans la pénombre mais rien n’y faisait. Elle essaya de se réveiller un peu mieux en se relevant sur les coudes et ainsi parvint à discerner ce qui l’avait réveillé. Akane se leva presque d’un bond et alla s’asseoir sur le bord du lit, posant une main sur le front d’Hiro.

“Hiro, Hiro, calme-toi, tu fais un cauchemar.”

La délinquante se réveilla de ce qui semblait effectivement être un mauvais rêve, le regard dans le vide, comme fixant quelque chose dans le noir. Elle se dégagea vivement d’Akane, secouant légèrement cette dernière, avant de sortir du lit. L’étudiante la regarda d’un air étonné et inquiet, elle allait lui dire que tout allait bien mais Hiro était déjà à la porte et quitta la chambre sans un regard en arrière, laissant Akane complètement abasourdie. Quelques secondes ou minutes passèrent avant que la jeune fille ne reprenne pieds et décide de lui courir après. Akane quitta sa chambre en pyjama, non sans avoir pensé à fermer la porte derrière elle. Elle traversa le couloir et dévala l’escalier vers la sortie principale du bâtiment mais Hiro n’était pas là. L’étudiante revint à l’intérieur du bâtiment, cherchant la silhouette de la japonaise dans le hall principal, l’imaginant déjà loin, avant de remarquer la sortie de secours de l’autre côté. Elle s’y précipita et réussit finalement à trouver Hiro, les mains posées sur la rambarde d’un escalier délabré. Akane s’approcha doucement, esquissant un geste vers elle, mais celle-ci se retourna soudainement, prenant l’étudiante au dépourvu encore une fois.

“Hiro … est-ce que …”

Akane n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’Hiro la prit dans ses bras et déposa un baiser brûlant sur ses lèvres. L’étudiante resta immobile, trop choquée pour faire quoique ce soit, et ce fut finalement la japonaise qui mit elle-même fin au baiser en se reculant, ce qui permit à Akane de voir son regard encore dans le vague, avant qu’elle ne cache son visage dans le cou de l’étudiante encore sonnée.

“Il n'y a rien de dégoûtant, ni même de démoniaque à aimer les filles, n'est ce pas ?”

Le coeur d’Akane se serra. C’était donc cela qui perturbait autant Hiro ? Elle voulait lui dire que tout irait bien, qu’il n’y avait pas de raison de se mettre dans des états pareils … Mais ce serait tellement stupide, comme si quelques mots rassurants pouvaient vraiment refermer une blessure aussi profonde. Akane se contenta de resserrer ses bras autour de la japonaise, laissant la question d’Hiro résonner dans sa tête le temps que des mots plus utiles jaillissent de son esprit. Ses doigts glissèrent lentement dans le dos d’Hiro pour remonter vers ses longs cheveux bruns qu’elle caressa doucement. Que pouvait-elle faire d’autre ? Tout était tellement embrouillé dans son esprit, mais Akane parvint finalement à formuler quelques mots.

“Tu sais Hiro, je n’y connais pas grand chose. Mais de ce que j'en sais, ce que je comprends, c'est que l'amour à lui seul peut être démoniaque quand je vois comment une seule personne peut remettre sa vie en question pour une autre. Mais en quoi aimer une fille serait différent d’un homme ? Si ton cœur est brisé alors la douleur sera la même, si tu es heureuse, alors ton bonheur sera égal ... Pour ce qui est du côté dégoûtant ... eh bien ... je m'y connais vraiment pas mais je ne suis pas dégoûtée quand tu m'embrasses, alors je suppose que non …”

Sa réponse lui paraissait tellement confuse, tellement clichée et surtout tellement inutile. Mais c’était tout ce dont elle était capable pour l’instant. Maintenant, il fallait songer à ramener Hiro dedans, pour qu’elle ne prenne pas froid en plus.

“Hum … on ferait mieux de rentrer, il fait pas super chaud ici et je suis pas habillée pour une promenade au clair de lune.”

 

********

 

Hiro entra juste après Akane dans la chambre, non sans jeter un coup d’oeil au magnifique pyjama rose de son hôte, un spectacle dont elle ne se lassait jamais. Quel type de personne porte ça à l’université ? Visiblement le mêmes qui pensent à fermer la porte de sa chambre avant de courir après quelqu’un. La japonaise passa une main sur son visage pour cacher un sourire naissant. Tout chez cette fille lui donnait envie de rire, tant ses réactions étaient bizarres, pour ne pas dire stupides. Mais son amusement disparut rapidement à la pensée de ce qui allait suivre ; une discussion longue et profonde, le genre qu’elle ne voulait pas avoir. Sauf qu’elle lui devait au moins la vérité, à cette fille qui s’était lancée dans le pari fou de l’aider, sans rien savoir d’elle. Évidemment Hiro n’y croyait pas une seule seconde, mais elle était curieuse de voir combien de temps Akane allait tenir. Trois jours ? Une semaine ? Et puis… il y avait quelque chose de rassurant dans cette main innocente qu’elle lui tendait pour l'entraîner dans sa chambre. Hiro essaya de se souvenir à quand remontait la dernière fois qu’une personne s’était montrée aussi gentille avec elle, sans y parvenir.

 

Une fois à l’intérieur, Akane l’invita à s’asseoir sur le lit, à côté d’elle, chose qu’Hiro fit sans se plaindre, réfléchissant seulement à ce qu’elle devait dire ou faire.

“Tu veux bien me dire ce qui ne va pas ou bien c’est trop personnel ?”

Vaste question. Les restes de son cauchemar étaient encore présent dans son esprit, elle se souvenait de ce sentiment d’abandon qu’elle avait ressentit au réveil, cette solitude abyssale qu’elle n’arrivait pas à faire disparaître, jamais complètement. Le souvenir de l’air frais contre sa peau était encore vif, elle pouvait encore sentir le froid infiltrer ses poumons et son esprit s’échauffer à chercher de l’alcool, ou n’importe quoi d’autre pour se faire griller le cerveau, pour oublier. Et puis Akane était arrivée, tout le reste avait disparu d’un coup. La seule pensée qui restait n’avait rien de catholique, elle n’était que bestialité et abandon, mélangés de manière confuse. Elle n'aurait pas d'alcool, elle n'aurait pas de drogue mais il lui fallait quelque chose, quelque chose qui, à défauts de lui faire oublier, lui rappellerait que non, elle n'était pas un monstre. Mais elle n’avait pas pu, à cause de cette stupide affection qu’elle ressentait pour cette fille qu’elle ne voulait pas blesser.

“Hiro, ta main tremble …

- Hein ? Ah oui, c’est rien. C’est … C’est les premiers effets du manque. D’habitude, quand je me lève au milieu  de la nuit comme ça, je bois jusqu’au petit matin.

- Oh … Pourquoi ?

- Parce que je me sens si … angoissée … et seule. C’est insupportable.

- C’est ce qu’il s’est passé la dernière fois, en cours ?

- Même pas, mais c’est lié oui, d’une certaine manière. Tu n’as pas envie de connaître tous les détails, je t’assure.”

Le silence s’installa de nouveau, Hiro sentait qu’Akane avait encore d’autres questions à poser, mais elle même n’était pas pressée d’y répondre. Se dévoiler était toujours un acte difficile, intime, elle ne voulait pas la faire fuir en racontant tout d’un coup, et en même temps elle avait besoin d’en parler, sans avoir jamais trouver d’oreille attentive pour l’écouter. Une question s’échappa finalement des lèvres de l’étudiante, avec un aplomb inébranlable :

“Hiro … hum … pourquoi est-ce que tu m’as embrassée ?

- Et bien c’est à dire que … Sur le moment ça m’a semblé être la meilleure chose à faire.”

Hiro se gratta la joue, cherchant vainement à cacher un rougissement. Elle remarqua alors qu’Akane fixait ses cicatrices, avec cet air de pitié que la délinquante connaissait bien. Un sentiment qu’elle n’aimait pas car il la renvoyait à son état pathétique, mais elle le comprenait et ne pouvait pas le blâmer.

“Ne fais pas cette tête, ça ne fait plus mal depuis longtemps. Ce ne sont que des cicatrices, je ne me souviens même plus d’où certaines viennent. Si tu veux vraiment blesser quelqu’un, donne lui quelque chose et reprend lui. J’ai été riche, j’ai été aimée … et j’ai tout perdu. Ça… ça fait tout de suite beaucoup plus mal.

- J'ai vu ma mère blessée par le départ de mon père, par sa trahison en quelque sorte. Ils vivaient bien, à deux, elle était aimée et elle ne se souciait pas de l'argent. Puis il est parti. Ma mère a été effondrée pendant les premiers temps, ensuite elle a changé. Elle aurait pu mal tourner, même à son âge. Mais non, elle a juste arrêté d'être la mère dans la famille, après tout, une mère sans père pour l'épauler ... Je crois qu'elle n'a pas voulu se battre. Alors j'ai décidé de le faire à sa place, c'est comme ça que je suis devenue Akane la guerrière, la travailleuse, la robuste. Enfin, je sais pas pourquoi je te raconte ça mais ... je me dis que j'aurais pu mener la même vie que toi, et quelque part je ne sais pas ce qui m'en a empêché ... Sûrement l'amour, l'amour qu'il y avait entre ma mère et moi.”

Hiro n’avait pas lâché Akane des yeux une seule seconde. Si la délinquante avait compri l’enfance délicate que l’étudiante avait eu, elle découvrait là l’origine de son altruisme démesuré. Elle passa son bras sur ses épaules pour la serrer contre elle. Quelle idiote. Même maintenant elle ne voyait pas tout ce qui les différenciait toutes les deux, à quel point elle était mille fois plus forte que la japonaise ne le serait jamais, et infiniment plus courageuse. Hiro n’avait fait que fuir toute sa vie, là où Akane s’était battue de toutes ses forces.

“Cette fille que t'a traitée de "salope" la dernière fois, tu n'as sûrement pas été correcte avec elle, mais elle n'a pas cherché à comprendre pourquoi. Elle n'a vu que sa propre blessure, sans chercher à savoir que les tiennes étaient cachées derrière un masque. Je suis sûre et certaine qu'elle n'aurait pas réagi de la même manière sinon. Bon, elle ne t'aurait peut être pas fait un gros câlin amical non plus, mais elle ne t'aurait sûrement pas insultée.”

Akane approcha son visage de celui de Hiro, déposant un chaste baiser sur le coin de ses lèvres. La délinquante frissonna en sentant une main remonter doucement le long de son dos.

“Je pense que cette fille était totalement dans son droit. Ce n'était pas honnête de ma part de la séduire pour m'amuser une nuit. Et contrairement à ce que tu penses, j'ai toujours été quelqu'un d'assez...volage. Après, c'est vrai que je ne force personne, comme je te l’ai dit je suis l’attraction de ces dames, le petit grain de folie qui prend les gens à l’entrée à l’université. Pour mon plus grand bonheur.

- Hum … Toi, volage ? Je l’aurais pas deviné tiens …”

Un sourire qui mélangeait un genre de tendresse et de plaisanterie traversa le visage d’Akane. Hiro leva les yeux aux plafonds en esquissant un sourire. Le silence se fit, plus apaisé et naturel qu’avant. La délinquante posa la tête contre le mur, bercée par une somnolence soudaine. La crise était passée, elle n’avait pas eu à raconter grand chose sur elle, finalement. Mais elle était tout de même libérée d’un poids, elle savait qu’elle pouvait lui parler en toute franchise, sans détour. Même si elle ne pouvait pas tout lui dire, même si ça n’allait sûrement pas durer longtemps, Akane semblait la comprendre plus que n’importe qui d’autre.

“- Qu’est ce qu’il va se passer demain ? Je veux dire, pour toi.”

Hiro ouvrit un oeil, constatant qu’Akane était resté parfaitement éveillée. Son visage montrait une certaine forme d’inquiétude, peut être une prise de conscience de ce dans quoi elle s’était embarqué, ou bien tout autre chose.

“ Hmmm …  déjà je ne vais pas retourner en cours, c’est évident. Je pense que je vais traîner un peu dans la salle de sport, au moins pour squatter le chauffage et les douches et puis … et puis j’aurais un petit rendez vous avec mon dealer.”

Sans grande surprise, Akane sursauta devant un telle franchise. Pourquoi lui mentir après tout ? Si la question n’avait pas encore été clairement évoquée, le rapport intime entre Hiro et la drogue était une évidence. C’était pour elle l’occasion parfaite de tester les nerfs de cette fille, voir ce qu’elle valait vraiment au delà des belles paroles et des promesses vides de sens. Cette petite provocation risquait tout de même de lui coûter une nuit au chaud et une relation agréable. En fait, la japonaise commençait déjà à regretter ses mots en voyant son hôte plongée dans une intense réflexion.

“Tu bois et tu te drogues pour oublier un passé que tu ne supportes pas c’est ça ? Mais c’est aussi pour ça que tu sautes sur tout ce qui bouge, j’ai raison ?

- C’est un peu plus compliqué mais on peut dire que oui …

- Si tu as l’un tu n’as pas besoin des deux autres alors ?

- Où est ce que tu veux en venir … ?

- Si je te propose … Si tu viens me voir à chaque fois que ça va pas, tu arrêteras de te faire du mal ?”

Hiro resta perplexe devant cette proposition pour le moins mystérieuse. Elle avait peur de comprendre, et en même temps de se tromper dans son interprétation. Mais Akane appuya sa question en se rapprochant de la délinquante, se serrant contre elle bien plus que nécessaire, avec un mélange de maladresse et de timidité. C’était ce manque total d’assurance qui dérangeait Hiro, comme si cette fille ne savait pas elle même ce qu’elle faisait, agissant plus par impulsivité qu’autre chose.

“ Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ?

- Hein … euh oui. Je … Je veux t’aider, j’ai pas envie de te voir te détruire un peu plus. Mais peut-être que je propose trop …”

Le rouge monta aux joues de l’étudiante qui, même si elle se rendait compte de ce qu’elle disait, de ce qu’elle proposait à Hiro, n’avait peut-être pas conscience de la portée de son geste. Elle inspira profondément avant de planter son regard dans celui d’Hiro.

“Si tu m’as moi, alors tu n’auras pas besoin du reste. C’est suffisant pour moi, pour t’aider.

- Tu as bien conscience du fait que ça ne réglera pas tout le problème pour autant ?

- Si ça peut t’aider, même un peu, à contrôler tes envie, alors ça me va.

- Tu vas le regretter …

- Peut être, je prends le risque.”

Sous le manque d’assurance, il y avait de la détermination et c’est ce qui l’emporta à la fin. Akane déposa un nouveau baiser sur les lèvres d’Hiro, beaucoup plus doux que tous les précédents, et aussi beaucoup plus long. Son corps bascula lentement en arrière, recouvert par celui de la délinquante, un feu prenait naissance dans son ventre, à une vitesse et une ampleur qu’elle n’aurait pas cru possible dans une telle situation, un petit gémissement s’échappa de ses lèvres quand elle sentit une main glisser le long de son ventre. Puis la délinquante s’arrêta net, se redressant tout d’un coup.

“ Ca va pas être possible, j’ai l’impression de te forcer et je fonctionne pas comme ça.

- Bon Dieu de merde …”

Akane attrapa son débardeur à deux mains, attirant la japonaise à elle sans lui laisser l’occasion de s’échapper encore une fois. Il y avait eu ce baiser dehors, bref mais brûlant, puis d’autres plus léger, et il y avait celui qu’elles échangèrent à cet instant pour aider la délinquante à combler son manque.



*                   *

 

*

 

“... m’écoutes ? Akane tu m’écoutes ?

- O-oui M’man désolée j’avais la tête ailleurs …

- Tout va bien tu es sûre ? Tu avais l’air bizarre l’autre fois et là encore …

- Non tout va bien, vraiment. Et toi ? Tu prends bien ton traitement hein, je sais que je suis pas là pour te le rappeler mais …

- Ne t’en fais pas, j’y pense …”

Elle était inquiète pour sa mère, c’était idiot de se focaliser sur quelques pilules alors que sa mère était tout à fait capable de se gérer seule, et pourtant Akane ne pouvait pas s’empêcher de la surprotéger, depuis toujours. Et d’un autre côté, il y avait tant de choses qu’elle voulait lui raconter mais qu’elle n’osait pas dire à voix haute, de peur de l’inquiéter aussi. Elle voulait lui parler de cette “amie” qu’elle avait décidé d’aider mais elle aurait bien du mal à lui expliquer pourquoi elle l’aidait d’une manière aussi étrange. Akane ne comprenait d’ailleurs toujours pas cette proposition qu’elle avait faite et il lui fallut toute la volonté du monde pour arrêter de rougir et ne pas fuir se cacher sur l’instant. La voix de sa mère la sortit de ses pensées.

“Tu comptes rentrer pendant les prochaines vacances ?

- Hein ? Euh oui je suppose … Sauf si tu as prévu de partir faire un voyage sans moi, auquel cas je resterai dans mon boudoir étudiant.

- Idiote, tu sais que tu peux revenir à la maison quand tu veux. Allez file en cours, je t’aime.”

Akane sourit dans le vide tout en lui répondant qu’elle l’aimait aussi. Elle aimait tellement sa mère, même si celle-ci avait été trop faible pour se relever après le départ de son père. Mais pourrait-elle rentrer pendant les vacances ? Est-ce que ce serait sûr de laisser Hiro seule ? Akane soupira, non elle ne savait pas dans quoi elle s’était embarquée, vraiment pas, mais elle en prenait conscience petit à petit. Le souvenir de la veille la fit rougir, et elle serra le téléphone entre ses mains, ne sachant quoi penser de son excitation d’adolescente. Après tout, aussi bien que ça ai été, ça ne voulait rien dire, c’était juste … C’était quoi en fait ? Un étrange compromis, un peu fou ? C’était quelque chose qui demanderait plus de réflexion que ce qu’elle était capable de faire pour l’instant, il était tôt, elle avait du boulot et tout était encore trop frais dans sa tête. Ses joues rougirent un peu plus avant qu’elle ne secoue la tête pour ne plus y penser, en vain. Une part d’elle craignait d’avoir l’inverse de ce qu’elle voulait, qu’Hiro disparaisse maintenant qu’elle avait eu ce qu’elle voulait. Akane porta ses mains à son visage, ses doigts étaient glacés et ses joues brûlantes, c’était parfait pour se rafraîchir les idées.

L’étudiante posa son téléphone sur son bureau avant de se laisser tomber sur le lit, fixant le plafond à la recherche d’une explication. Elle avait du boulot oui, mais son esprit était trop préoccupé qu’elle puisse penser à autre chose. Il y a quelques petites heures, Hiro avait quitté la petite chambre universitaire d’Akane après lui avoir assuré qu’elle ne resterait plus dormir, que cette nuit-là était une exception mais qu’elle ne voulait pas instaurer une relation de dépendance entre elle. L’étudiante pouvait comprendre pourquoi, après tout, Hiro n’avait pas l’air d’être le genre de personne que l’on enferme mais, à cause de ça, elle n’avait aucun moyen de la contacter.

“Pourquoi j’en aurais besoin, merde quoi … C’est elle qui est supposée venir me voir quand ça va pas …”

Akane finit par se cacher sous son oreiller à force de parler toute seule et de réfléchir. C’était bien ça le deal, cet accord pour le moins étrange et tout le problème, c’était Hiro qui décidait de tout.

26 décembre 2014

Hirokane chap 3 bis

Hellow ! Pour une fois ce n'est pas Emili qui vous parle mais sa comparse. Vous vous demandez surement pourquoi un chapitre 3 bis en plus du 3 ? Pourquoi pas un chapitre 4 directement ? Tout simplement pour que vous vous posiez la question ! Et plus sérieusement, pour apporter un éclairage pour la suite. Bonne lecture et à l'année prochaine !

Chap 3 (bis)

 

Beaucoup de gens apprécient la pluie quand ils sont à l’intérieur, un bon chocolat chaud dans les mains, collés au chauffage. Hiro faisait partie de ces gens, avant. Dernièrement son avis avait quelque peu changé. Maintenant, quand les premières gouttes commençaient à tomber, elle se rappelait qu’elle n’avait nulle part où se réfugier, plus de toit sur la tête. Il ne lui restait qu’à trouver un endroit où se cacher, plus ou moins à l’abri, un endroit qui ne lui donnerait pas l’impression de dormir dans une immense flaque d’eau.

Rapidement, elle était allée chercher ses affaires, cachées dans un conduit de ventilation. Depuis le temps, elle s’était fait un liste de lieu où elle pouvait aller, c’est tout aussi vite qu’elle alla se réfugier dans un parc, s’allongeant sur l’unique banc d’un petit patio. La nuit était tombée depuis un moment, il n’y avait plus personne ici, pas même des promeneurs égarés. Juste elle, le silence et un petit lampadaire pour lutter contre l’obscurité. La température chuta soudainement, Hiro sortit un pull du gros sac qui contenait sa vie et se recroquevilla. Les nuits étaient de plus en plus froide, mais rien de comparable à ce qui allait arriver, en hiver. La délinquante sortie finalement un paquet de cigarette et en glissa une entre ses lèvres, avant de l’allumer et de sortir une bouteille de vodka bien entamée. Le soir, elle ne pouvait plus faire semblant d’être quelqu’un de normal, arpenter les rues comme n’importe qui, causer avec des inconnus, boire un café en terrasse. Quand la nuit se mettait à tomber, que chacun rentrait chez soi pour regarder un bon film avant de dormir, elle n’avait nulle part où aller. Et tout le temps pour y réfléchir.

 

Trois jours plus tôt, elle s’était brouillée avec cette fille, cette Akane. Elle n’y avait pas repensé depuis, enchaînant les fêtes sans interruption. Un bon moyen pour faire passer le temps, et surtout pour crécher chez des inconnus sans que ça ne choque. Parfait pour ne penser à rien d’autre aussi, mais ça ne pouvait pas durer éternellement. Hiro sentit la chaleur remplir ses poumons, elle prit une grande inspiration pour l’emprisonner et ferma les yeux. Quand elle expira finalement, un nuage de fumée grise accompagna son souffle. Ce qu’elle pouvait se sentir seule quand tout s’arrêtait. Comme elle avait été bête de penser que cette fille pourrait voir au dessus des apparences, l’être humain caché derrière l’image qu’elle véhiculait. Au final, Akane était une fille un peu atypique aux premiers abords, mais comme les autres en profondeur ; superficielle et soucieuse de sa réputation, du “qu’en dira-t-on”. Hiro installa son sac à un bout du banc, posant finalement sa tête sur ce coussin de fortune. Sous ses yeux, pas de ciel étoilé, juste un plafond morne et quelques toiles d’araignées. Elle jeta sa cigarette avant d’en rallumer une autre ; la dernière du paquet. Elle allait devoir en racheter demain, ça et quelque chose pour l’aider à dormir. De quoi manger aussi, la faim la tiraillait depuis un moment mais elle n’avait plus une miette. Avec quel argent ? Elle pouvait peut être faire la manche, à côté d’un petit café en centre ville. Non, c’était la porte ouverte à tout le reste. Bientôt elle allait devenir comme tous les autres sans-abri du coin : sale, puant et misérable. Hiro n’avait pas la force d’attendre toute la journée la générosité de quelqu’un, sans rien faire d’autre que de voir les gens passer et la regarder de haut avec tout le mépris du monde. La délinquante fit glisser une longue gorgée de Vodka dans sa bouche, grimaçant en sentant le liquide tout brûler sur son passage.

- Ah putain, ça désinfecte.

Les autres gorgées ne lui tirèrent plus d’expression particulières, petit à petit elle ne sentit plus grand chose, ni le froid, ni la faim, ni la lourdeur de sa vie. Juste de la chaleur et l’impression d’être dans un manège qui tourne à vive allure. Elle ferma les yeux, faisant disparaître la sensation de vertige pour se baignait dans cette douce chaleur, son esprit éteint, allergique à la moindre pensée.

 

Le lendemain, la petite délinquante avait recouvré ses esprits et se mit en tête de passer sa matinée dans la plus grande artère de la ville, suivant les passants les plus méfiants, les plus visuellement riches jusqu’à trouver une cible qu’elle prit en chasse. Dès qu’elle quitta le boulevard, Hiro mit la capuche de sa veste et se mit à courir, attrapant le sac à main d’une main experte avant de s’enfuir le plus vite possible, dans des ruelles qu’elle connaissant comme sa poche, caméra de sécurité inclue. Une seconde d’intimité lui permis de fouiller dans le sac pour trouver le porte feuille, récupérer tout l’argent qu’il contenait et repartir en laissant le reste dans une benne à ordure. Ce genre d’actes sauvages lui étaient devenus familier, si bien qu’elle les faisait sans le moindre remord. C’était ça ou revendre de la drogue, tout le reste lui était impossible. Ce jour là, cependant, elle se laissa glisser le long d’un mur, écrasé par le poids de la culpabilité. Akane la guerrière désapprouverait ça, elle lui sortirait sûrement quelque chose sur la foi en l’homme, les limites morales infranchissables ou quelque chose d’aussi con. Si seulement c’était aussi simple … mais rien n’était simple depuis qu’elle avait eu l’idée folle de s’enfuir de chez elle. Depuis longtemps, elle n’avait plus le luxe de se payer une morale.

 

******

 

La tanière de Diego était un vieil appartement déglingué et plus que rudimentaire,  dans un coin perdu de la ville, trop mal fréquenté pour qu’on y tombe par hasard. Mais ce n’était pas là où il vivait, plus un bureau pour recevoir ses clients sans trop se mettre en danger, le genre de détail qui rappelait que c’était un type intelligent sous ses airs d’amateur. Hiro toqua, alternant des coups court et long intentionnellement. La petite tête du mexicain apparue, arborant la casquette de l’équipe locale de baseball. Il lui ouvrit en grand, lui tournant le dos pour aller éteindre la télé où passait un match. C était devenu une routine entre eux, mais la délinquante le trouvait toujours trop confiant, comme s’il oubliait tous les risques de son métier au premier client vaguement sympathique venu. Diego alla s’asseoir sur un canapé en cuir, invitant Hiro à prendre place en face, sur un deuxième canapé largement usé par le temps. Une table basse les séparaient, où on pouvait voir un cendrier à moitié plein et un grand morceau de papier retourné. Hiro se demanda vaguement ce que ça pouvait être avant de se rappeler les raisons de sa visite. Elle posa une liasse de billet sur la table. Le dealer compta méthodiquement l’argent, avec une lenteur mesurée.

- De quoi dormir, de quoi m’amuser et de quoi être peinard.

Il ne manquait que le “s’il-vous-plaît” et on aurait tout à fait pu croire qu’elle était en train de faire ses courses. Diego releva les yeux, la fixant un instant, l’air de réfléchir, avant de continuer à compter. Sous la table basse, il ouvrit un petit tiroir caché d’où il sortit une boîte de comprimé orange, caractéristique de leur pays, un gros sachet remplit d’herbe et un plus petit, rempli d’une poudre blanche qui n’était pas de la farine.

- T’étais vraiment à sec, dis moi … Enfin, comme tu payes cash pour une fois, je te fais un petit prix d’ami... T’es allé voir quelqu’un d’autre, c’est ça ?

Hiro leva les yeux au ciel, attrapant son dû pour le glisser dans sa poche, sans prendre la peine de répondre au mexicain qui se mit à sourire, ne comptant visiblement pas en rester là.

- C’est quand même amusant. Tu as tout du cliché du junkie de base ; une situation tellement merdique qu’il ne te reste plus que ça pour vivre en ce bas monde. Et pourtant, tu as une consommation étonnamment faible, encore plus que certains étudiants.

- Viens en au fait, je n’ai pas très envie de passer ma journée à discuter de la quantité que je me colle dans le sang dans une journée.

Diego joignit les mains, les frottant l’une contre l’autre machinalement. Son visage habituellement tranquille s’était tendu, ce qui ne présageait rien de bon et agaçait Hiro au possible.

- Tout ça m’a mit la puce à l’oreille, tu sais à quel point j’aime pouvoir faire confiance à mes clients. J’ai fait quelques recherches sur toi … Je pensais que t’étais flic en mission ou quelque chose du genre. Et au final tu es … bien pire que ça. Je sais qui tu es, ce que tu as fait.

- Permet moi d’en douter, sinon tu aurais conscience que tu te condamnes à une mort certaine en me disant ça.

Hiro s’affala sur son siège, posant sa tête sur son poing fermé, une expression indéchiffrable au visage. Le dealer déglutit, cherchant à se redonner un semblant d’assurance avant de continuer :

- Tout de suite les menaces, laisse moi te montrer quelque chose et tu changeras d’avis.

La curiosité de la délinquante fut satisfaite, le papier sur la table fut retourné, laissant apparaître une carte de la ville criblée d’inscription au feutre noir. Diego trépignait maintenant d’une assurance infantile.

- Je vais agrandir mon territoire au delà du campus, dans ce quartier … et celui-ci. Actuellement il n’y a que des petits, je n’aurais pas de mal à les écraser rapidement ou les mettre sous ma botte. Surtout si je t’ai à côté, comme homme de main pour faire le …

Pas le temps de finir sa phrase, il s’était déjà prit un coup de poings dans le nez et Hiro l’attrapa par une oreille pour l’entraîner vers elle, l’allongeant sur la table où elle put continuer à le rouer de coup. Du moins, jusqu’à ce qu’elle sente le métal froid sous son menton, ce qui l’arrêta net et lui délia la langue, plus pour détourner son attention que par réelle envie de lui parler :

- Tu as la chance d’avoir un petit réseau tranquille, sans ennemi pour chercher la merde ni personne à qui rendre des comptes. Même les flics te regardent à peine. Profite de ta putain de situation, ne provoque pas une guerre de territoire qui va juste de foutre dans un bordel monstrueux, et surtout ne t’avise pas de m’impliquer dans tes conneries. T’as pas la carrure pour faire ça, crois moi.

- Tu ne me connais pas, et tu n’es pas en position de me donner des ordres.

- Oh que si ! Le fait que tu n’aies pas tiré m’en apprend déjà beaucoup sur toi. Tu n’as jamais tué personne, pas vrai ? Moi tellement que j’ai perdu le chiffre. Ce qui t’éclates, c’est de faire la fête avec de l’argent facilement gagné. Si tu grossis ton champ d’action, tu augmenteras tes revenus, tu auras une équipe à ta botte comme dans les films, mais tu devras aussi regarder par dessus ton épaule toute la journée, tu vivras sous des menaces de morts constantes et ça ne fait aucun doute que tu crèveras jeune, comme un rat. Si tu ne finis pas au trou.

Un long silence suivit ce monologue, Hiro avait lâché Diego qui, lui, avait baissé son arme. Chacun s’assit d’un côté du canapé, sans se regarder. Il se passa peut être cinq minutes avant que le mexicain ne pioche dans son tiroir magique une pincée d’herbe qu’il roula consciencieusement avant de l’allumer. Il le tendit à Hiro avant d’entreprendre d’en faire un deuxième pour lui.

- J’étudiais ici, avant. Des cours d’éco et de communication, juste dans l’idée de me faire du fric peu importe le boulot. Mes parents sont morts quand j’étais jeune, j’ai vécu chez ma tante jusqu’à l’université. Comme je ne voulais rien lui devoir, j’ai du me payer mes études autrement, en vendant du shit aux autres étudiants. Je me suis rapidement fait connaître, parce que c’était du fait maison et que j’étais très pro, une vraie petite entreprise. J’ai continué après la fac, en me diversifiant pour satisfaire la demande. Les étudiants sont vraiment des clients en or, ils payent cash et ne réfléchissent pas beaucoup, tout ce qu’ils veulent c’est s’amuser en profitant de l’absence des parents … Enfin je t’apprends rien, hein ?

Diego adressa à Hiro un petit clin d’oeil et un coup de coude dans les côtes. La délinquante soupira avec un petit sourire. Elle ne cachait pas sa manière de faire ; aller voir les petites de première année pour titiller leur désir de rébellion, des coups faciles, mais elle ne cherchait pas le challenge. Sa colère était tombée presque aussi vite qu’elle était montée, la laissant étonnement calme.

- C’est ça ton problème, t’es pas un mauvais type. Tu pourrais pas tenir longtemps dans la cour des grands. En plus tu saignes du nez.

Comme s’il s’en rendait à peine compte, le garçon se rua vers un mouchoir pour nettoyer les dégâts. Hiro l’avait bien amoché, mais il était visiblement plus résistant qu’il en avait l’air.

- Toi non plus, t’es pas une mauvaise nana …

- Moi y avait personne pour me dire que j’allais faire une connerie irréparable.

- Une entreprise, c’est fait pour grandir. J’aurais bien voulu être riche, en ce moment ça va mais je met pas grand chose de côté, j’peux me carrer ma piscine dans le cul… C’est si affreux que ça, ce monde ?

Hiro hocha vaguement la tête, les yeux fermés, bercé par le contenu de ce qu’elle était entrain de fumer. Le monde était trop cotonneux pour qu’elle y pense, mais elle n’oubliait pas ce qui l’avait mené ici, ce qui la suivrait toujours où qu’elle aille, tapis dans l’ombre en attendant une erreur de sa part.

- T’as un tatouage ?

Sans attendre la moindre réaction, Diego essaya de soulever la manche de la veste d’Hiro qui le repoussa, lui expliquant qu’elle l’avait fait enlever durant sa fuite. Il paraissait déçu, ce qui fit sourire la japonaise un peu plus.

 

******

 

La journée terminée, Hiro était soulagée d’un poids sur la conscience ; Diego ne la vendra pas. C’était un soucis de moins qui pouvait lui permettre d’aborder la vie avec plus d’optimisme. Ou pas. En fait ça ne changeait strictement rien, une goutte d’eau dans l’océan. Ce qui avait été le plus positif dans cette journée, c’était la douche qu’elle avait prise dans les vestiaires de la salle de sport, son havre de paix. A force d’y aller, c’était presque devenue une habituée, personne ne remettait en question sa présence et, en même temps, personne ne la remarquait vraiment. Mais il fallait bien repartir, le soir venu et retourner dans la rue, comme toujours. Il y avait une énième fête ce soir, comme presque tous les jours, Hiro n’était pas d’humeur à s’amuser, mais elle ne voulait pas non plus retourner sous la pluie comme la veille, il faisait bien trop froid pour ça.

D’un air absent, elle observa les lettres grecs sur le fronton de la maison sans les comprendre. Elle connaissait deux écritures, c’était largement suffisant. Le bruit de la fête l’atteignait déjà, il y avait beaucoup de mouvement, déjà quelques personnes ivres qui brayaient sur la pelouse. Parfois, elle avait du mal à se dire qu’elle était plus jeune que la majorité de ces gens, et puis elle se rappelait qu’elle ne serait pas plus glorieuse dans une heure, après quelques litres de bière dans le sang. Hiro posa un peu de poudre sur le dos de sa main avant de la porter à son nez.

 

La lumière filtrait entre ses paupières closes, tirant la délinquante de son mini coma. Quand elle ouvrit finalement les yeux, elle ne reconnu pas tout de suite l’endroit, c’est en voyant le nombre impressionnant de cadavre qui l’entourait qu’elle se remémora de la veille. Hiro se redressa dans un râle, se frottant le crâne. Quel mal de tête affreux, elle ne se souvenait absolument de rien. Tout ce qu’elle pouvait dire, c’est que ça avait été assez mouvementé pour qu’elle se réveille affalée sur une table, dans une position improbable. C’était l’heure de tirer sa révérence, avant que les autres épaves ne se réveillent. Pour rien au monde elle ne voulait qu’on la remarque plus que nécessaire, elle voulait rester la fille un peu bizarre, anonyme parmi les anonymes de cette immense université, une ombre dont un parle mais qui n’existe pas vraiment. Elle emporta avec elle un bol encore plein de cacahuète et disparu dans les couloirs. La pluie avait cessée, un petit soleil timide montrait le bout de son nez, c’était presque une belle journée qui s’annonçait.

 

Hiro recula d’un pas, restant cachée dans l’angle d’un mur. D’un regard furtif, elle vérifia son premier sentiment. Oui, c’était bien Akane là bas, accompagnée d’un grand blond qui lui faisait la discussion. Comme prévu elle s’était fait des amis, des gens normaux avec qui elle pourrait tranquillement voir passer ses dernières années d’étude. Mieux valait qu’elles ne se recroisent pas pour autant, elles n’avaient plus rien à se dire, de toute façon. La délinquante resta un moment là, à la suivre des yeux alors qu’elle s’éloignait. La petite douleur qu’elle ressentait dans la poitrine quand elle repensait à cette fille redoublait d’intensité, la seule personne à qui elle avait eu envie de faire plaisir depuis longtemps. La seule qu’elle voulait voir sourire, et aussi la seule à avoir montrer un semblant d’intérêt sincère pour sa personne, du moins dans cette foutue université. Akane entra dans une salle et disparue complètement, Hiro repartit tout de suite après, trouvant le ciel bien nuageux, tout à coup. Elle traîna son amertume le reste de la journée, jusqu’au banc où elle s’installa à la nuit tombée. Mais elle n’eut même pas le temps de s’endormir, tout juste d’entrer dans un état de somnolence avancée avant qu’un bruit ne la dérange. Les rues n’étaient plus vides, elle n’était pas seule.

D’un oeil discret, elle chercha à savoir qui venait interrompre son semblant de sommeil. Au loin, arrivaient trois hommes, brayant et titubant. Hiro ne bougea pas d’un pouce, priant pour ne pas être remarquée. Elle n’avait pas peur, mais elle était agacée d’avance, sachant pertinemment ce qui allait arriver, s’ils la voyaient.

- Regardez ! Un clodoooo !

Merde. Hiro se retourna sur son petit banc, leur tournant le dos.

- Rooo aller, tu peux pas dormir avec tout le boucan qu’on fait !

Une deuxième voix, au timbre encore plus juvénile que la première. Il ne fallait pas être Shelock Holms pour comprendre que c’était des jeunes complètement bourrés, inconscient de ce qu’ils faisaient. C’était bien ça le problème, l’alcool rend idiot, et il n’y a rien de pire que d’assister, sobre, à ses effets. Enfin bon, maintenant c’était trop tard pour esquiver ce qui allait suivre, Hiro se mit dans une position assise, lasse d’avance, écoutant à peine ce que pouvait sortir d’intelligible leurs élucubrations. Surtout, elle ne prenait pas la peine de répondre à leurs questions, réagir à ce qu’ils pouvaient dire. Mieux valait ne pas engager la moindre discussion, ça ne ferait que les inciter à continuer et, tout ce qu’elle voulait, c’était retourner dormir. L’un d’eux, le plus petit et agité des trois s’approcha plus que les autres dans un fou rire. Il alla s’asseoir à côté d’Hiro qui sentit un flash dans sa direction. Une photo ? Sérieusement ? Bande d’abruti.

- Ah mais les gars, c’t’une fille en fait !

Allez savoir comment il s’en ai rendu compte sous l’épaisseur de sa veste qui refermait trois couches de vêtements, peut être une mèche de cheveu un peu trop longue sur son épaule ou juste la féminité des traits de son visage. Quoi qu’il en soit, Hiro le repoussa hors du banc, le jugeant un peu trop près de sa personne. Grave erreur, c’était le truc à pas faire. La japonaise s’en mordit la lèvre de rage, un réflexe complètement stupide qui écrivait définitivement la suite de la soirée.

- Oh mais calme toi là ! D’où tu’m’pousse ?

La garçon se releva, pour la pousser aussi. Hiro se laissa faire, se murant dans son mutisme et son immobilité alors que ses trois compagnons étaient plus en train de se monter le chou tout seul, s’échauffant dans des offusquassions et des insultes disproportionnées. Finalement, l’un d’eux se décida à lui coller un gifle, cherchant à ébranler la statue qu’il avait en face sans y parvenir. Hiro s’enferma dans une bulle intérieure où personne ne pouvait l’atteindre, surtout pas les coups qui commençaient à fuser sur elle. Elle ne pouvait pas leur répondre, si elle le faisait, elle serait incapable de voir la limite à ne pas franchir. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était accuser le coup en position foetale, supporter ce mauvais moment à passer et ensuite elle pourrait retourner à sa vie misérable de junky sans-abri.

- Hey non, pas ça !

Entre ses doigts, elle avait vu un des types attraper le gros sac qui contenait toutes ses affaires, le glissant sur son dos. C’est à ce moment là qu’elle comprit ce qu’il avait marmonné quelques secondes plus tôt “on te prend ça pour te punir”. Tout, mais pas ça. Hiro se releva d’un bond, l’attrapant par les épaules pour lui flanquer un magistrale coup de boule. Elle avait une conscience parfaite de son environnement, visualisant l’emplacement de chacun de ses adversaires, la distance qui les séparaient, leur gabarit, leur puissance, elle prit tout en compte dans la seconde, à commencer par l’état d’ébriété avancé dans lequel ils étaient. Un coup de pied dans le foie pour le second des abrutis et un coup de coude dans le plexus scolaire pour le dernier. Mais déjà, le premier lui fonçait dessus, ne prenant même pas la peine de se relever totalement pour essayer de la plaquer au sol, chose qu’il réussit à cause du trottoir où Hiro trébucha.

 

Un bruit strident arrêta net la délinquante qui leva la tête. Une fenêtre allumée dans les immeubles d’en face, avec une petite silhouette noire qui les observaient. C’est tout ce qu’elle eu le temps de voir avant d’entendre les sirènes de la police se rapprocher dangereusement. Elle se fichait bien de savoir si cette femme avait voulu l’aider pour arrêter le passage à tabac ou simplement faire disparaître un tapage nocturne nocif à son sommeil, et ça lui était bien égal. Hiro poussa l’idiot qui l’écrasait de tout son poids sur le côté, il l’aida beaucoup en essayant lui aussi de se relever. Au bout de quelques secondes, tout le monde partait dans des directions différentes, celui qui tenait encore son sac allait droit vers la voiture de police, le débile. Tant pis pour ses affaires, elle ne pouvait pas rester là et prendre le risque de se faire coffrer, même en tant que victime. Ils allaient lui demander son identité, ses origines, trouver la drogue, chercher dans son casier judiciaire et trouver qui elle était. Plutôt la rue que la prison. Mais la rue sans ses affaires n’était pas facile pour autant. Elle avait mit des mois à accumuler tout ça, fouillant dans les poubelles en y laissant sa dignité, récupérant tout ce dont les gens ne voulaient plus. En tout il y avait des vêtements, quelques pièces, un peu de nourriture, toute sa drogue, deux bouteilles de rhum et une de vodka. Hiro se prit la tête entre les mains en soupirant, insultant dans sa tête les trois responsables de sa perte. Quand elle les retira, elle remarqua le sang qui y était présent. C’est vrai qu’elle avait sacrément mal un peu partout, ils lui avaient pourri l’arcade sourcilière et tout un tas d’autres choses qu’elle ne pouvait pas voir sans se déshabiller complètement, juste sentir d’une manière diffuse. Hiro observa un moment les dégâts dans le rétroviseur d’une voiture. Son visage avait été protégé par ses mains, il n’y avait rien de grave à déplorer mis à part l’arcade ouverte qui pissait le sang. En vissant bien son bonnet sur sa tête, elle pouvait le cacher. Au final, elle se fichait un peu de l’avis qu’on pouvait avoir d’elle, qu’on la regarde bizarrement ou qu’on ne la remarque même pas. Mais la part d’elle qui s’accrochait à un semblant de vie sociale et festive n'assumait pas la réalité de sa condition, préférant se faire croire qu’elle était une fille normale, passer pour une étudiante un peu mystérieuse dans le campus plutôt que pour une clocharde dans les grandes artères. Quoi que, avec la réputation qu’elle se traînait déjà, l’idée qu’elle se soit battu ne serait pas si surprenante, au contraire, ça collerait même plutôt bien.

- Va draguer avec un bleu au menton, sérieusement …

Hiro soupira de nouveau avant de se relever, le plus important était de trouver un nouveau coin où dormir.

 

Personne ne fit trop attention à elle dans les jours qui suivirent. Elle avait abandonné ses couches de vêtements dans un sac plastique, dans le même conduit de ventilation que d’habitude, arborant une veste tout à fait banale et son bonnet. Tout au plus deux-trois regards interrogatifs quand quelqu’un remarquait son bleu, mais dans le fond tout le monde s’en foutait, elle aurait bien pu crever sur le pavé sans soulever la moindre réaction autour d’elle. Les plaies se refermèrent petit à petit, mais sa condition générale ne s’améliora pas vraiment. La pluie recommençait à tomber, une véritable inondation. Hiro était tout le temps mouillée, incapable de se changer pour porter des vêtements secs, il fallait attendre que ça sèche tout seul. Elle avait froid, l’air était humide autour d’elle, c’était absolument insupportable. La nuit surtout, quand elle ne pouvait plus se cacher dans les magasins, profiter du chauffage ou de la ventilation. Rapidement, la japonaise commença à se sentir mal, à force d’être continuellement mouillé. Elle n’avait plus la force de parcourir la ville de long en large, de chercher des coins vides sur des kilomètres, elle était bien trop fatiguée pour faire un pas de plus, choisissant des coins de plus en plus pathétique pour dormir, comme des coins de rue, des porches, un peu n’importe où en fait. C’est comme ça qu’elle tomba sur Akane, ou plutôt que l’étudiante lui tomba dessus. S’il y avait bien une personne au monde à qui elle ne voulait pas se montrer dans cet état, c’était bien elle.



19 décembre 2014

Eve Kelim Chap 3

CHAPITRE 3

Le passé, le présent ...

 

 

 

La fuite avait échouée, les soldats gagnés. Hella resta cloîtrée dans un coin de sa prison, recroquevillée le plus possible. Ils ne l'avaient pas tuée, c'était un point positif. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de se demander où ils allaient l'emmener. Et pourquoi ? Elle n'osait pas essayer de poser la question, d'interpeller un soldat à travers la lucarne pour comprendre sa situation. Esteban lui manquait, lui aurait su quoi faire.

Si seulement elle était tout à fait seule, elle aurait pu réfléchir à un plan à tête reposée. Mais ce n'était pas le cas. Elle avait remarqué depuis longtemps une respiration dans l'habitacle qui l'effrayait plus encore que le reste. Quelqu'un était là, dans cette prison, parfaitement silencieux et immobile. En plissant les yeux dans le noir, Hella finit par se persuader qu'elle voyait une forme assise dans un coin, plus sombre que l'obscurité. Sa respiration, seul témoignage de sa présence, était lente et profonde, comme celui d'un dormeur. Puis elle s'arrêta. Hella se crispa. Un tissu se froissa sous le mouvement et la respiration reprit de plus belle, allié à un ronflement sifflant. Elle essaya de se rassurer en se persuadant que s''il était enfermé avec elle, c'est qu'il devait être un allié. Bien qu'avoir un ennemi commun ne fait pas de deux personnes des amis. Devait-elle le réveiller ? Le bruit qu'elle avait fait à son propre réveil aurait pu réveiller un mort, il devait être épuisé pour ne pas avoir réagi à sa présence.

Avant qu'elle n'ait pu résoudre ce dilemme, l'ombre ouvrit les yeux. Le peu de lumière de l'habitacle se reflétait dans ses prunelles comme deux éclats dans l'obscurité, regardant inlassablement droit devant, loin du coin où était réfugiée la jeune fille. Pourtant, une petite voix fatiguée émana de ses lèvres, prononçant distinctement un nom, avec l'intonation du désespoir et du soulagement absolu du même coup. Eve. Même s'il ne l'avait pas regardé une seule fois, Hella sentit qu'il avait conscience de sa présence, et qu'il lui parlait à elle. Il répéta inlassablement son appel jusqu'à ce que la jeune fille lui réponde :

« Il n'y a personne d'autre à part nous ici. Je ne m'appelle pas Eve. »

Un soupire heureux fut la seule réponse du vieil homme. Il devait être fou, perdu dans une autre réalité loin d'ici, un endroit où il ne serait pas enfermé, à sentir la crasse et l'urine. Une réalité où son « Eve » était présente. Il était bien chanceux.

« Je ne t'avais pas vu depuis si longtemps … Tu as tellement grandi, Eve. »

Voilà qu'il continuait dans son délire, comme s'il pouvait voir quoi que ce soit dans cette obscurité. Chaque mots semblaient lui douloureux à prononcer que le précédent, demandant une force incroyable de la part de ses poumons malades. Pourtant, il y mettait un entrain qui n'était pas celui de la folie. Hella sentit un frisson lui parcourir l'échine à l'idée qu'il puisse être lucide.

« Je ne suis pas Eve, rétorqua-t-elle. Je m'appelle Hella. 

- Hella … Oui je me souviens. Il a tout juste eu le temps de sceller ta mémoire avant de … »

Le vieil illuminé déglutit. Hella aussi. Il était impossible que le hasard fasse aussi bien les choses, il ne pouvait qu'être cinglé. Pourtant … le doute s'était immiscé en elle, venant du plus profond de son être.

« Il est temps que je te rende tes souvenirs, reprit-il. Approche-toi. »

Hella resta parfaitement immobile, arrêtant même de respirer pour essayer de disparaître complètement. Cette discussion venait de prendre un tournant qu'elle n'avait pas vu venir. Mais l'idée de retrouver la mémoire lui faisait encore plus peur maintenant qu'elle y était confrontée, même hypothétiquement. Et si la personne qu'elle était aujourd'hui se faisait avaler par celle qu'elle était devenue ce soir là, cette meurtrière froide et effrayante ? Malgré le doute persistant, elle continua à se cacher derrière l'idée qu'il devait être fou, une idée des plus rassurantes. Une possibilité dans laquelle il n'y aurait aucun lien entre leur présence ici, les soldats, son talent pour le combat et son amnésie.

« Qui êtes vous ? Finit-elle par demander.

- Oh … Je ne suis plus personne depuis longtemps. Juste un vieil homme un peu étrange qui fait peur aux enfants. »

Cette petite blague la fit rire contre sa volonté. Il semblait flairer ses appréhensions au même titre que sa présence. S'il s'agissait d'un magicien, qui sait de quoi il était vraiment capable ? Car il s'agissait bien de ça, après tout. De magie.

« Qui étiez-vous avant de ne devenir personne ?

- On m'appelait Saba le sage.

- Pourquoi est-ce que je devrais vous faire confiance ?

- Il n'y a aucune raison de le faire. Mais maintenant qu'ils t'ont retrouvée, j'ai bien peur qu'ils n'aient plus besoin de moi et je suis la seule personne dans ce continent capable d'annuler le sort qui t'a été lancé. Nous pourrons répondre à tes questions une fois que tu te souviendras de qui tu es.

- Non. Je suis la personne que je suis aujourd'hui et c'est suffisant. Je n'ai pas besoin d'être quelqu'un d'autre.

- Erreur. Nous sommes composés d'un passé, d'un présent et d'un futur. Tu ne vas pas devenir quelqu'un d'autre, simplement retrouver la partie qui te manque. Mais il est tout à fait normal que tu aies peur, l'inverse serait même étonnant.

- Un ajout et non un remplacement … »

Hella n'était pas convaincu, mais il y avait quelque chose dans le ton pressant que le vieillard employé qui ne lui laissa pas le luxe d'hésiter. Elle se releva, manquant de se fracasser le crâne contre le toit en métal qu'elle avait pensé plus haut. La personne qu'elle avait été devait comprendre la situation actuelle, puisqu'il avait l'air de la connaître. Tout au plus, elle était au moins capable de s'en défendre. Elle seule qui pourrait sortir d'ici. Cette « Eve » qu'elle était aussi. Hella s’agenouilla devant le vieil homme, ne pouvant retenir une dernière question pour calmer ses dernières réticences.

« Ca va faire mal ?

- Oui. »

Le vieil homme posa son pouce sur le front d'Hella qui se sentit partir en arrière. Son esprit se retrouva envahi d'un flot de souvenir qu'il ne pouvait contenir, sa tête était sur le point d'exploser à force de flash successif, auquel s'ajoutait des souvenirs plus détaillés, les plus récent.

 

* *

*

 

Hella chevauchait dans les grandes étendues de Desneo, admirant la beauté d'un paysage immaculé de la présence humaine. Le soleil descendait lentement au sud, couvrant le sable d'un manteau orangé, mais le vent traînait trop de sable avec lui pour qu'elle puisse enlever son chèche. Les grains se fracassaient contre ses bras nues sans qu'elle n'y accorde la moindre attention, ne poussant son pur-sang que plus rapidement. Si elle continuait encore quelques heures dans cette direction, elle atteindrait le souk d'El-Ema et, beaucoup plus loin, Sétif, la demeure du sultan Hassam III. Hella bifurqua légèrement, faisant un arc de cercle qui l’amena à galoper en sens inverse, vers une tour immense qu'on ne pouvait pas rater dans le paysage plat du désert. Elles étaient en réalité cinq, disposées en pentagone pour encercler la Grande Cour. Adjuji, l'école des mercenaires royaux. Les enfants les plus vigoureux étaient laissés au pas de la porte pour leur offrir un avenir meilleur, une vie où ils pourraient manger à leur faim et où demain ne serait pas un mystère. D'aussi loin qu'elle pouvait se souvenir, ce château avait toujours été sa demeure. Hella sentit ses cuisses brûler à force de se cramponner à son cheval. Les entraînements du matin l'avaient épuisée et ce n'était pas le morceau d'après-midi passé à étudier les langues étrangères qui l'avait reposé, quoi qu'aujourd'hui elle ne fût ni de corvée de ménage, ni de cuisine. Un des rares jours où elle pouvait s'accorder un peu de liberté, le bonheur de parcourir le désert sans but. En temps normal, ses amis étaient là, hurlant à ses côtés pour exprimer leur joie, galopant les uns après les autres dans une anarchie des plus totales. Aujourd'hui, ils avaient beaucoup mieux à faire, contrairement à elle.

La guerrière passa rapidement à autre chose, n'étant pas du genre à ressasser les mauvaises pensées. L'immense porte d'entrée lui faisait face, ouvert, elle leva les yeux sur la pierre blanche de la façade du mur extérieur pour chercher des yeux le bout de la tour la plus proche. Si le ciel n'avait pas été d'un bleu d'azur, il ne lui faisait aucun doute que les cinq sommets auraient crevé les nuages. Une silhouette près de la porte attira son attention, grandissant à mesure qu'elle s'approchait. Il l'attendait. Le beau, le grand, le majestueux Hiram. Hella sauta de son cheval sans attendre qu'il se soit complètement arrêté et se laissa glisser entre les bras du guerrier à la peau d'ébène qui s'empara immédiatement de ses lèvres. Ce simple contact réveilla en elle l'intégralité des souvenirs qu'elle avait partagé avec lui, ce garçon qui avait grandi avec elle, passant du statut de presque frère à celui d'amant. Un jour ils allaient faire équipe pour voler des friandises dans les cuisines à la nuit tombée, le lendemain ils brisaient le couvre feu pour s'inviter dans la chambre de l'un ou de l'autre. Quand elle y pensait, ça n'avait rien de surprenant, depuis le début elle n'avait eu d'yeux que pour lui. Et pour toujours il n'y aurait que lui. Il s'écarta finalement.

« Prête pour la cérémonie du lait ? »

Hella hocha la tête. La petite conversation qui suivit ne s'était pas ancrée dans sa mémoire, quelques petites phrases jetées en l'air, sitôt dit, sitôt oublié. Elle ne se souvenait que du lendemain.

 

Appuyé contre la balustrade, Hella regardait la grande salle d'un air absent. A l'intérieur, elle bouillonnait encore. Sous ses yeux, tous les élèves étaient rassemblés, en carré compact. Seul deux lignes refusaient cette mise en place, se faisant face aux yeux de tous d'un côté de la salle. L'une était blanche comme le lait, l'autre noir comme la nuit. La cérémonie de la Lune, appelée péjorativement par les élèves « cérémonie du lait » ou « du fromage ». Les nobles venaient acheter leur dû, la peau blanche comme si elle n'avait jamais était exposée au soleil, offrant un contraste saisissant avec celle de ceux né dans le désert. Pour augmenter les contrastes, les mercenaires devaient s'habiller de noir et leur acheteur de blanc. Hella s'était toujours amusée de ces nobles aux serviteurs rougit par les de coup de soleil, suffoquant dans leurs vêtements épais, inapproprié pour ce climat. Qu'ils étaient pathétique tous ces rois et reines, le visage tout transpirant. Mais cette fois-ci, elle ne pouvait pas en rire, elle se souvenait trop nettement du jour où elle avait apprit qu'elle ne siégerait nulle part. Hella se détourna du spectacle pour fixer sa peau dorée et, tout particulièrement, le tatouage qui parcourait son bras, bourré d'arabesques qui cachaient des mots, des formules complexes dont elle ne comprenait pas toujours le sens. Cette vision la plongea dans la réminiscence de cette soirée où elle avait appris la mauvaise nouvelle.

 

La porte fut ouverte si violemment qu'elle faillit sortir de ses gongs, mais ce n'était que les prémices d'une tempête qui allait déverser sur le maître d'Adjuji.

« Tu n'as pas le droit de me faire ça ! J'ai tout réussi, comme les autres, il n'y a aucune raison que tu me laisses à l'écart ! »

Le vieil Al-fathih ne montra aucune surprise, sachant pertinemment que la jeune fille allait arriver dans cet état pour revendiquer son jugement. Il contourna son bureau et lui fit face, les plis de sa robe lui donnant l'air de glisser sur le sol comme un esprit.

« J'ai tous les droits. Toi, par contre, tu n'as pas celui de me parler sur ce ton. »

Calme, catégorique, sa voix rocailleuse avait toujours imposée le respect et le silence. Mais pas cette fois. Hella surenchérit en enlevant sa robe, se laissant à demi nu devant son maître.

« Montre-moi un tatouage manquant, un seul, et je me tairais ! »

L'évaluation de l'école fonctionnait ainsi, une épreuve donnait comme récompense un tatouage pour prouver le haut-fait. Hella en avait le corps couvert, mis à part le visage. Tous les firmaments gris arrivaient dans une partie du dos, dont l'achat devait relier les morceaux et ainsi activer le sortilège, transformant un corps humain en véritable machine de guerre. Le grand Al-fathih ne regarda même pas ce corps d'enfant, plongeant son regard noir dans celui noisette de la jeune rebelle avec un calme indéfectible.

« Tu ne participeras pas à la cérémonie, j'ai d'autres plans pour toi. Tu resteras ici pour enseigner aux autres élèves. »

 

Rien de ce qu'elle put dire ou faire ne changea sa décision, par même une grève de la faim. Hella abattit son poings sur la pierre blanche de la balustrade pour calmer sa colère. Tous ses amis était en bas, dans cette ligne noire, faisant face à leur futur avec l'attitude froide et sérieuse qu'on demande à un guerrier. Ils s'étaient préparés toute leur vie pour cet événement, défendre un roi jusqu'à la mort ou l'affranchissement. Hiram aussi était parmi eux, la beauté sublimée par les deux métisses à ses côtés. Demain, tous seront partis, sans elle. Les larmes lui vinrent quand elle vit son amant prêter serment à la dauphine de Lubia, elle se détourna pour partir.

 

Ses débuts dans l'enseignement étaient difficiles. Ce rang n'était d'ordinaire accessible qu'aux aînés ayant étés affranchis, Hella était la première à le devenir à tout juste 15 ans, sans n'avoir jamais servi personne. La difficulté à se faire reconnaître dans son nouveau rôle n'était pas facilité par le groupe qu'on lui avait attribué. Des recrues tardives, arrivées à l'école à près de 10 ans, si bien qu'ils avaient tous presque son âge. 7 garçons tous plus grand qu'elle et à la musculature redoutable. Mais, à les regarder faire, Hella avait l'impression de se coltiner un banc de poisson handicapé.

« Plus fort dans tes attaques ! Si tu veux le déséquilibrer, fais-le jusqu'au bout! »

Ce jour là, elle avait opté pour un entraînement traditionnel, plaçant au centre d'un cercle le plus doué pour se défendre, laissant les six autres l'attaquer à tour de rôle jusqu'à briser une garde aux apparences parfaite. Tous avaient leurs défauts et leurs qualités, son travail était de corriger les premiers et de perfectionner les seconds. La plupart de ses élèves étaient réceptifs à ses exercices, comprenant son intention et agissant dans son sens. Mais, pour les autres … il suffisait de prendre l'idiot qu'elle venait de reprendre et dont le nom lui échappait encore. Elle avait beau lui avoir répété une centaine de fois que ses coups étaient trop faible, il ne voulait pas l'écouter. L'éternel débat se relança quand il lui répondit :

« Peut-importe la force de mes coups, tant que je les multiplie !

- Au contraire, ce genre de comportement te rapproche trop de ton adversaire, le jour où tu tomberas sur quelqu'un de plus rapide que toi, tu ne feras pas long feu. »

Contester l'autorité de son enseignant était déjà une provocation en soit, lever les yeux au ciel en soupirant devenait de l'insulte pure et dure. C'est que monsieur était le plus doué de son groupe depuis son arrivé, personne n'était plus rapide et endurant que lui alors il pouvait se permettre de les avoir à l'usure à chaque fois. Pourquoi changer une technique qui marche, après tout ?

« Si vous parlez d'une fille, par exemple, mes coups sont largement assez puissant pour les écraser. Toi la première. »

Là, c'en était trop, il fallait remettre à sa place ce petit prétentieux. Hella s'approcha en quelques enjambées et prit place au centre du cercle, poussant celui qui en occupait la place.

« Tu as gagné, viens me le prouver. »

Le silence s'était fait dans l'assistance, personne n'osait faire le moindre geste à part le rebelle qui fit tourner son épée dans sa main, se délectant de cette occasion qui lui permettrait de gagner un haut-fait extrêmement rare. Il entra dans le cercle, délimité par des piques pointés vers les combattants. Bien que large, le combattant qui s'approchait trop des bords risquait la mort. Le garçon dont Hella avait pris la place lui proposa son épée, elle la refusa poliment, préférant rester à mains nues. Son adversaire se mit à rire.

« Et c'est moi celui qui ne prend pas en compte le danger ? Il ne faudra pas venir pleurer quand tu auras perdu une main, par mégarde de ma part, bien entendu. »

Hella eut un petit sourire en coin. Depuis le début, il avait cherché la confrontation avec elle, par petits gestes, petites piques, maintenant il dévoilait son vrai visage. Il la méprisait parce qu'il la considérait comme plus faible, avec ses petits bras de femme et sa tête de moins, la fille qui n'avait pas pu devenir Mercenaire comme les autres.

Le prétentieux attaqua, Hella l'esquiva, le laissa enchaîner ses coups, déviant parfois l'épée en visant le plat de la lame. Comme d'habitude, il fit un pas en avant, cherchant à pousser son adversaire à reculer aussi. Mais la jeune enseignante ne fit pas un pas, le laissant s'approcher dangereusement. Une épée l'aurait empêchée de parer convenablement alors qu'ainsi, elle pouvait faire aussi un pas en avant, lui saisir le poignet pour créer une ouverture et lui donner un coup de poing au visage pour le déboussoler puis un coup de pied dans le plexus scolaire pour l'envoyer en arrière. Son adversaire s'étala entre deux piques, le souffle coupé.

« Tu es lent, tu respires mal, tu frappes mal et tu ne sais pas te défendre de l'attaque la plus basique. Si tu veux mourir, continue sur ce chemin, tu es bien parti. »

Hella se baissa pour prendre l'épée que le prétentieux avait laissé tomber. Quitte à être un prof pas comme les autres, autant le faire jusqu'au bout et casser les interdits, comme se battre avec ses élèves.

« Bon, on va changer d'exercice. Faites des groupes de deux pour travailler les déséquilibres et désarmements, l'un de vous sera contre moi pour se confronter à un niveau supérieur et on fera des roulement régulier. »

 

de mémoire, cette période n'était que solitude, tristesse et ennui. La pilule passait difficilement, peut importe l'entrain qu'elle mettait dans son travail. Sa seule réelle distraction depuis la cérémonie de la Lune fut l'arrivée des caravanes. Une longue lignée de marchands, s'attroupant dans la cour jusqu'à la remplir entièrement. Le désert entourant Adjuji empêchant la moindre récolte, l'école dépendait des marchandises qu'on venait leur vendre deux fois par mois. C'était toujours un événement amusant, l'occasion de discuter avec des étrangers et d'entendre des nouvelles du reste du monde, de goûter des fruits et des légumes frais et surtout, de ne pas s'entraîner pendant deux jours. Cette année, Hella n'avait pas à aider au déchargement, son statut d'enseignant lui demandant de tenir compagnie aux marchands, à commencer par leur laver les pieds. Une tâche qui n'avait rien d'ingrate dans ce pays et qui lui permettrait de discuter avec eux pendant de longues minutes. Elle trépignait d'impatience.

Cependant, tout ne se passa pas comme prévu. Les souvenirs d'Hella s'embrouillèrent. Une nuée d'hommes en armure était sortie des caravanes, arme au poing. Le temps qu'Hella réalise, ils fendaient la foule des élèves désarmés, une traînée de sang sur leur sillage. Elle fit un geste pour rejoindre les enfants et les protéger de cet invasion quand un bruit de métal qu'on dégaine l'incita à faire volte face. Les autres enseignant étaient déjà partis aider leurs élèves, à l'exception de trois d'entre eux qui venait de dégainer, non pas pour se mêler à la foule mais pour se diriger vers Hella. L'un d'eux hurla. «Emparez-vous d'elle ! ». Estomaquée par ce geste, elle n'envisagea pas l'idée de fuir. Al-fathih la sauva, s'interposant entre elle et ses assaillants pour l'attraper à la taille, la soulever et partir le plus loin possible des combats. Malgré son age avancé, il semblait d'une force surhumaine et d'une endurance à toute épreuve. Les tatouages gris de son corps venait de virer au blanc lumineux. Là était toute la puissance de ces unités de combat, en ralliant les tatouages entre eux, il était possible de les activer et de multiplier ses capacités physiques par trois. Mais alors que seul le roi d'un Mercenaire peut activer les tatouages, un affranchi devient son propre maître.

Hella se débattit, clamant qu'elle devait rosser les traîtres qui avait osés essayer de porter la main sur elle. Cette petite pause sur l'épaule du maître des lieux l'avait ragaillardit, mais il resta sourd à ses protestations, ne s'arrêtant que dans son bureau où il ouvrit une trappe. Hella fut jetée à l'intérieur, plongée dans le noir. Elle entendit la voix du maître affranchi derrière la cloison.

« Ils sont venus pour toi, je pense que tu l'as compris. C'est pourquoi tu dois rester cachée ici, je t'expliquerai tout plus tard. Ne fais pas de bruit. »

Hella ouvrit grand la bouche, outrée d'être ainsi caché comme une chose fragile. Qui plus est, rien ne justifiait qu'elle reste en sécurité pendant que d'autres mourraient, particulièrement s'ils étaient venus pour elle. Al-fathih devait s'en douter, justifiant qu'il l'enferme au lieu de simplement la cacher. Hella donna un grand coup de pied dans la porte pour la défoncer, faisant apparaître un cercle d'une lumière violette. Elle fit un pas en arrière. De la magie. Rare chose contre laquelle elle ne pouvait pas lutter.

« Vieux timbré. »

 

Le temps passa. Lentement. Les minutes étaient interminables. De sa cachette, la jeune fille ne pouvait rien entendre, rien voir. C'était insupportable. Mais rien ne fut pire que de voir la porte s'ouvrir et de découvrir qu'il n'y avait personne derrière elle. Hella ne savait pas grand chose sur la magie, encore moins la pratiquer, cependant il y avait une règle que personne n'ignorait ; quand un sort s'annule de lui-même, c'est que le magicien est mort. L'estomac de la guerrière se noua à cette idée. L'homme le plus puissant du monde, aussi grabataire soit-il, ne pouvait être vaincu. C'était impossible. Et pourtant, c'était bien son corps qu'elle vit plus loin, adossé à un mur et couvert de sang. Ses cheveux et son bouc blanc contrastaient comme d'habitude avec sa peau noire comme la nuit, il se dégageait de son visage une expression de paix qui laissait croire qu'il dormait. Mais l'entaille qui lui traversait le ventre et d'où sortaient ses tripes ne mentait pas sur son état, pas plus que les 5 cadavres de soldats autour de lui sur ses capacités guerrières. Hella sentit les larmes lui montaient aux yeux. Elle posa une main sur l'épaule du mort qui ouvrit les yeux. La jeune fille sursauta, la bouche ouverte sans qu'aucun son ne puisse en sortir. Ensuite vint le soulagement de voir son maître en vie, finalement, la rumeur au sujet de la magie était fausse. Lui ne semblait pas particulièrement heureux de sa propre survie, plongeant son regard noir celui noisette de la guerrière d'un air grave.

« Je n'ai plus beaucoup de force alors écoute-moi bien, je ne me répéterai pas. Tu as été posée ici toute petite, comme beaucoup d'autres. Sauf que toi, tu es la fille du roi Abel IV et de la reine Noah. Le Tyran te cherche … Pour te tuer tu t'en doutes. Survis et trouve Saba Asgad le mage, lui saura ce que tu dois faire, il t'aidera ... Il m'a dit de te … Cet imbécile. Approche-toi. »

La voix du guerrier mourant commençait à flancher, Hella se baissa vers lui. Il posa une main sanglante sur son front, la prétendue princesse ne sentit rien de particulier, tout au plus un léger fourmillement. Son maître trouva la force de prononcer quelques derniers mots qui s'incrustèrent dans l'esprit de son élève.

« Tu n'es pas née pour servir, tu es née pour régner. Ne l'oublie jamais. »

L'instant d'après, Al-fathih avait lâché son dernier souffle. Elle n'arrivait toutefois pas à le pleurer, trop occuper à comprendre ce qu'il venait de lui dire. Tout ça était donc bel et bien de sa faute. Le Tyran n'était autre que le nouveau roi de Kiel, un homme de l'est qui avait envahie le pays en quelques semaines et trucidé le couple royal et leurs deux enfants ; Eve et Adam. Hella l'avait appris sans songer un instant qu'elle pourrait être lié à cette histoire. Maintenant qu'elle le savait, l'envie de démolir ce faux roi la démangeait.

 

Des bruits extérieurs la sortirent de sa léthargie, on continuait à se battre dehors. Contre un des murs du bureau, elle trouva accrochée la lourde hache à deux mains qu’utilisait Al-fathih dans sa jeunesse, Trop lourde pour elle, Hella s'intéressa plutôt à la dague qui était accrochée entre les deux lames.

Dehors, elle ne savait plus où donner de la tête, ne sachant quel chemin elle devait suivre en premier, qui avait le plus besoin d'aide. Le cri d'une gamine l'aiguilla. Plus elle avançait dans les couloirs, plus s'accroissait le nombre de cadavres, des deux camps confondus, mais aussi la fumée. Quelqu'un avait eu la brillante idée de mettre le feu au palais qui, bien que de pierre blanche, renfermait un nombre incroyable de tapisserie et de rideau. Les similitudes entre cette journée et l'incendie du village étaient si frappante que son esprit les mélangea. Le cri de cette fille et de Raya, les emblèmes du roi de Kiel sur les plastrons des soldats, l'imprudent qui défonça une porte d'un coup de pied. Même mode opération, mêmes personnes. La nécessité de fuir pour sa propre vie en abandonnant les potentiels survivants. Elle se rendit compte bien plus tard que ses tatouages avaient disparus. Hella n'était plus une esclave.

 

Ses souvenirs s'étaient scellés durant sa marche dans le désert, jour après jour, jusqu'à ce qu'elle oublie tout de son passé.

 

* *

*

 

Hella se réveilla dans le présent avec l'impression qu'une dizaine de chevaux l'avaient piétinés pendant des heures. Elle essuya d'un revers de main le filet qui coulait le long et son menton et se releva sur les coudes, encore confuse. Combien de temps était-elle restée allongée ? Elle appela Saba sans trouver d'autres réponses que l'écho de sa propre voix. Cette soudaine solitude l'inquiéta d'abord puis lui permit de faire le point sur sa situation. Son nom était bien Eve et il n'y avait rien de surprenant à ce qu'il le sache ; Saba le sage n'était autre que le mage attitré de la cour de Kiel, il l'avait donc vu naître et assisté à la chute de la dynastie. Outre ces maigres informations, Hella ne savait rien de plus sur cette famille, ses cours se concentrant sur les vivants qu'elle devait servir et non pas les morts qu'elle ne verrait jamais. La princesse exilée s'assit en tailleur dans un coin, attendant le retour du mage en essayant de calmer sa haine. Il fallait qu'elle s'évade rapidement et qu'elle venge les siens, mais d'abord elle devait parler avec Saba. Tout en ayant la certitude qu'il s'agissait d'un traître, sa pleine conscience en Al-Fathih l'empêchait d'ignorer sa dernière volonté.

14 décembre 2014

Eve Kelim chap 2

 Comme on est en période de partiel, pas d'édito cette fois-ci et un gros retard. Enjoy quand même !

Emili

CHAPITRE 2

Le sauveur

 

 

Il lui fallut trois jours pour retrouver la notion de réalité. D'un point de vue extérieur, rien ne laissait croire qu'Hella était sortie de sa léthargie, fixant les flammes du feu de camp du même air insipide que les trois dernières heures. Mais une question venait de naître dans son esprit, la sortant petit à petit du cauchemar mental où elle se noyait. Lentement, elle prit conscience du monde dans lequel elle était, de la verdure de la forêt, du craquement du bois enflammé, de son propre corps flasque qui refusait encore de bouger, restant simplement adossé à l'arbre sur lequel on l'avait posé. Ce "on" n'était autre qu'un homme au milieu de la vingtaine, en tunique grise et pantalon de toile, qui était en train de faire la cuisine, rabattant régulièrement en arrière les mèches noirs qui lui recouvraient les yeux.

« Qui es-tu ? Demanda-t-elle. »

L'inconnu sursauta comme un chat sauvage, manquant de renverser la minuscule marmite qui contenait leur repas. Tout était encore très flou dans son esprit, mais il lui semblait que cet homme l'avait éloigné du village puis s'était occupé d'elle, la faisant boire et manger. Un regard vers ses ongles coupés confirma un souvenir dont elle doutait jusque là.

« Esteban de Thyr.

- Thyr ? Qu'est-ce qui t'a emmené ici ?

- J'étais venue voir ma cousine.

- Comment s'appelle-elle ? 

- Elle s'appelait … »

Esteban s'arrêta dans un sourire triste. Il s'excusa auprès d'Hella.

« Je n'ai pas prononcé son nom depuis … Est-ce que tu as faim ? »

Hella fit non de la tête mais son sauveur s'approcha avec un bol, une cuillère et un air autoritaire que lui donnait naturellement ses yeux gris. La jeune fille insista.

« C'était une question réthorique, tu vas manger que tu le veuilles ou non.

- Personne ne m'a jamais obligé à faire quoi que ce soit contre ma volonté.

- Il y a un début à tout, ouvre la bouche. Non vraiment, je ne t'ai pas sorti de là-bas pour te laisser mourir de faim. Mange. »

Mourir de faim ? Cette perspective sonnait comme une douce mélodie à l'oreille de l'orpheline amnésique, elle était cependant trop énervée par la manière dont cet homme lui parlait pour y penser. Et si il n'avait pas déjà été en train d'essayer de lui ouvrir la bouche par la force, il ne fait aucun doute qu'elle aurait lutter plus longtemps, au moins par principe.

Cette indélicatesse jurait avec l'attention patiente qu'il lui avait portée jusqu'alors, à croire qu'il y avait deux personnes dans un même corps. Il se calma quand elle attrapa son bol, une soupe transparante et fade. Peut-être s'en voulait-il pour son comportement sec, ou juste voulait-il vérifier si sa protéger n'était pas retombée dans sa léthargie, quoi qu'il en soit il s'installa devant elle pour manger, laissant pendre un collier qui représentait un scorpion.

« Très belle facture » commenta Hella.

Esteban mit quelques secondes à comprendre, attrapant le bijou pour lui montrer en détail, une petite fierté dans la voix.

« C'est le cadeau d'un vieil ami, il disait toujours que j'étais piquant comme l'un d'eux, mais que c'est ce qui me rendait autenthique.

- Je ne vais pas le contredire. »

Cette pique qui se voulait agressive n'eut pas l'effet estompée puisque le garçon se mit à sourire, prenant ça comme une blague. Hella commençait doucement à cerner le personnage, très différent des habitants du village toujours si tendre et si gentil. Il essaya de continuer la conversation en demandant si elle aussi avait un totem de ce genre ou au moins un surnom, mais la fatigue venait de s'emparer de l'amnésique qui voulait juste qu'on la laisse tranquille, happée par des idées plus fortes. Qu'allait elle devenir désormais ? Elle se sentait si seule, perdue dans un monde qui l'effrayait d'autant plus qu'il venait de lui montrer sa violence et sa cruauté. On lui avait parlé des voleurs, des bandits, du commerce d'esclave de Desneo, mais pas de ça. Pas d'un massacre orchestré par le roi envers ses propres sujets, sans aucune raison apparante. Personne ne lui avait raconté l'odeur de la chair brûlée ou le hurlement strident d'un enfant qui voit sa mort en face.

Esteban la secoua avec force, Hella s'énerva d'avoir été ainsi tiré de ses pensées. Elle ne pouvait pas savoir que son regard s'était vidé de toute vie, ni que sa main avait lâché le bol qui s'était mis à rouler dans l'herbe.

« Regarde-moi et ferme-la ! » Ordonna-t-il.

Hella obéit par instinct, quittant des yeux les flammes du foyer pour plonger dans le regard de loup de son sauveur.

« Arrête d'y penser.

- Je ne peux pas, ces souvenirs s'imposent à moi ! Se lamenta-t-elle.

- Et ne chouine pas, ne te mets jamais dans une position passive. Plus le traumatisme est violent, plus il est important de ne pas lui laisser le moindre ascendant. Si tu le laisses faire, il te contrôlera. Il va te dévorer entièrement et tu ne seras plus qu'une caracasse vide.

- Tant mieux ! »

Esteban esquissa une gifle, s'arrêtant dans son geste au dernier moment. Son corps tremblait légèrement, ses yeux étaient pleins d'une colère qui alimenta la curiosité d'Hella. Il mit plusieurs minutes à se calmer, sans lâcher des yeux la jeune fille, comme si elle était suceptible de se tailler les veines s'il avait le malheur de tourner la tête. Quand il se décida à ouvrir la bouche, ce fut pour détacher chaque mots, les choisissant avec soin.

« Ecoute, gamine, je vais t'expliquer quelque chose que tu es trop jeune pour savoir. C'est un miracle que tu t'en sois sortie en vie, or tu n'as pas le droit de cracher sur un miracle. Tu peux essayer de me faire croire que tu rêverais d'avoir été avec eux ou de partir les rejoindre maintenant. Dans les faits, si tu n'y es pas, c'est que tu voulais survivre. Alors assume. »

Hella essaya de détourner le regard de ces yeux perçants mais Esteban l'en empêcha. Elle comprit à cet instant qu'il savait des choses qu'elle ignorait, des choses de la vie et aussi de la mort. Il savait ce qui se trouvait après le cauchemar, quand on trouvait la force de s'en remettre. Il était possible de s'en remettre. Hella referma ses mains contre les vêtements de son sauveur, cachant sa tête dans son cou pour libérer les sanglots qu'elle ne pouvait plus contenir.

 

Hella repensa à cette conversation quelques heures plus tard, au bord de la rivière. Peu importe l'ardeur de son effort, le sang qui tâchait sa robe de chambre refusait de partir, au contraire, il ne faisait que s'étaler. Elle abandonna finalement, restant un long moment à regarder ses mains maculés de sang, tout en sachant que ce n'était que son imagination. Combien de temps faudrait-il pour que cette vision s'arrête ? Hella se sentit aspirée dans une abîme, comme à chaque fois qu'elle y repensait. Elle se leva avant que l'idée de se laisser tomber dans la rivière ne soit trop forte. Assumer d'être en vie. Si facile à dire, impossible à faire. Ses pas la guidèrent encore une fois jusqu'au village, malgré l'interdiction formelle d'Esteban. La jeune fille se boucha le nez, évitant soigneusement de regarder les cadavres. Elle se pressa jusqu'à sa maison, grimpant les marches quatre à quatre jusqu'à sa chambre. Quelqu'un l'avait fouillé rapidement mais il ne manquait rien. Tout en essayant de ne pas y penser, elle prit un sac en toile et entreprit de se changer, puis de préparer ses affaires. Elle qui jusque là adorait l'effort physique trouvait chaque mouvements de son corps épuisant, chaque idée impossible à réaliser, vaine. C'est pourquoi elle attrapa une pelle dans la grange et l'enfonça entièrement dans la terre meuble du jardin, il fallait qu'elle se batte contre elle-même pour maintenir la tête hors de l'eau. Qu'elle ne laisse pas sa peine avoir l'ascendant. Sans qu'elle ne s'en rende compte, elle s'était de nouveau perdue dans ses pensées, toujours les mêmes. Sa lâcheté, sa peur, sa tristesse, chaque coup de pelle ouvrait un peu plus la plaie béante qui se déversait dans la fosse. Quand elle crut approcher de la folie, tous ses sentiments furent balayer par une colère proche de la rage, le regret de ne pas être resté pour tous les tuer. Elle se persuada qu'elle aurait pu sauver sa mère si elle n'avait pas eu peur de sa propre force. Et, en même temps, elle refusait toujours de croire qu'elle avait pu tuer ces trois soldats, elle n'était pas comme eux. Elle continua ainsi jusqu'à ne plus sentir ses bras, puis son corps entier. Elle ne sentait plus rien. Sa tête dépassait à peine du sol.

Lentement et avec beaucoup d'attention, elle enroula le cadavre de chacun des membres de sa famille dans du linge, respectant à la lettre les rites funéraires du village bien qu'elle n'y ait jamais cru. Plusieurs fois, elle manqua de vomir. Le visage de ses parents étaient déjà méconnaissable, rongés par les vers. Leur beauté et leurs sourires n'existaient plus que dans sa mémoire. Il n'y avait pas la place d'y mettre tout le village et elle n'avait plus la force de creuser, juste assez pour reboucher le trou. Elle s'assit devant la nouvelle résidence de sa famille, le corps en feu et couvert de sueur. Le soleil descendait lentement devant elle, éblouissant. Elle avait réussi à accomplir quelque chose, malgré la difficulté. Une larme de satisfaction coula le long de sa joue, il fallait qu'elle dise quelque chose, même si personne ne pouvait plus l'entendre.

« J'aurais dû à être là, je pense que je continuerais à le penser le reste de ma vie. Mais je suis ici, loin de vous. Tout au long de l'année que j'ai passée ici vous avez été ... parfait. Je n'aurais pas pu rêver d'une meilleure famille d'accueil. Je suis tellement désolée d'essayer de continuer à vivre. En échange, je jure que je vais faire de mon mieux. Je ne sais pas encore ce que je vais devenir mais ... je ferais toujours de mon mieux. Même si ... Même si vous n'êtes plus là. »

Esteban arriva au village juste avant que le soleil ne disparaisse derrière les arbres, la respiration haletante à force d'avoir couru. Il l'avait cherché partout, tellement longtemps qu'il avait cru ne jamais la revoir. Mais elle était bien là, juste sous ses yeux, agenouillé devant un amas de terre fraichement retournée. L'espace d'un instant, il entrevut la magnifique personne qu'elle pourrait devenir une fois adulte, une femme magnifique qui donnerait à tous l'envie de la suivre et de la protéger dans le même temps. Esteban pria pour qu'elle ne soit pas la fille qu'il cherchait, elle choisit ce moment pour se retourner vers lui, et son regard suppliant le força à ouvrir les bras pour l'y accueillir.

 

Ils passèrent la journée du lendemain à marcher vers le col de la montagne, unique passage vers le monde extérieur. Esteban ne laissait pas un instant de répis à sa protéger, l'assomant d'un nombre incalculable de questions et de discussions inutiles. Elle détestait ça, tout en comprenant le but de ce comportement ; l'aider à ne plus penser. Il était, qui plus est, toujours aussi insupportable, d'autant plus quand il avait raison. Ses décisions étaient des ordres qu'elle n'avait pas le droit de refuser, même son choix de l'emmener avec lui à Thyr pour lui trouver un nouveau foyer. Hella ne savait toujours pas comment lui faire comprendre que son refus n'était pas qu'un caprice. Il y avait quelque chose de rassurant dans la manière avec laquelle il s'était énervé contre elle, à l'idée qu'elle parte seule vers le sud. Elle profita d'un moment de silence pour remettre le sujet sur le tapis.

« Tu sais, je ne veux pas être ingrate en refusant ta proposition. Je ne peux juste pas t'accompagner là-bas. »

Esteban s'arrêta, se tournant vers Hella. Ses sourcils commençait déjà à se rapprocher l'un de l'autre.

« Bien sûr que si. Où veux-tu aller sinon ? Tu m'as déjà dit qu'il n'y avait aucun survivant, tu as compté les cadavres. Il n'y a pas non plus eu le moindre voyageur ces dernières années donc tu n'as aucune expérience de ces choses, c'est un coup à mourir dans la semaine. Pourquoi tiens-tu tant à tenter l'expérience ? En plus pour le sud, Desneo est un des endroits les plus dangereux du monde.

- Ca me regarde.

- Non, ça ne marche pas comme ça. Au cas où tu n'aurais pas encore compris, je t'ai prise sous mon aile, tu ne feras rien contre mon avis. Alors si tu es sérieuse, persuade-moi que tu as raison. »

Hella avait réussi à ne pas parler d'elle jusqu'à maintenant. Elle n'avait pas envie de s'ouvrir plus que nécessaire à un inconnu, malgré l'aide immense qu'il lui avait apporté. Quelque chose, comme un instinct, lui disait de se taire. Mais la même force voulait la faire partir. Elle prit une grande inspiration et s'expliqua enfin.

« Je ne suis pas née dans ce village, je crois que je viens de quelque part dans le sud parce que j'avais visiblement traversé un désert, mais je n'ai garde aucun souvenir. C'est peut-être égoïste de ma part mais je n'ai pas envie de recommencer une nouvelle vie ailleurs en sachant que je vais devoir repartir, encore. Je veux rentrer chez moi. »

Son explication ne sembla pas énerver son sauveur, au contraire, il avait une expression triste qu'elle ne lui avait jamais vu. Elle se racla la gorge pour le sortir de ses pensées.

« C'est une raison valable. Laisse-moi cependant y réfléchir jusqu'à demain, s'il-te-plait. »

Son comportement poli et docile n'avait rien de semblable avec celui qu'il arborait depuis leur rencontre, Hella supposa que l'idée de leur séparation était la raison de son trouble, tout en ne pensant pas une seule seconde qu'il ait pu s'attacher si vite à elle. Esteban posa son sac au sol, défit sa cape de annonça qu'il dormirait ici.

 

Hella leva les yeux vers la lune, à peine visible à travers les branches des arbres. Comment quelque chose qu'elle aimait regarder tous les soirs pouvait aujourd'hui la laisser vide de la moindre émotion ? L'éclat des étoiles, le hululement d'une chouette au dessus de sa tête, le vent chaud du nord, tout lui semblait aussi fade que le mouton grillé dans du miel qu'elle avait dans les mains. Et froid. La chaleur du feu ne l'atteignait pas, elle ne lui procurait que du dégoût. Hella se demanda vaguement si elle pourrait un jour regarder une flamme sans penser à l'incendie qui avait détruit sa vie. Esteban n'avait pas dit un mot depuis qu'ils s'étaient posés là, il évitait aussi soigneusement son regard. Elle s'enquit de son état, il se contenta de gromeler, changeant de sujet avant qu'elle ne puisse insister.

« Et tu es arrivée seule ?

- Au village ?

- Oui.

- Seule et mourante.  »

Esteban se renferma à nouveau dans son silence, Hella se sentait incapable de l'en sortir. C'était lui, le bavard des deux. Le jeune cordonier qui avait trouvé et dépeucé un mouton pendant qu'elle-même creusait un trou géant, celui qui arrivait à lui tirer un sourire avec quelques mauvaises blagues. Certes il était moqueur, autoritaire et buté comme un âne, mais elle se sentait en sécurité quand il était dans les parages. Comment pouvez-elle lui dire sans se ridiculiser qu'elle voulait qu'il l'accompagne ? C'était peut-être ce qu'il attendait d'elle, finalement.

La nuit la rendait sentimentale, c'était le seul moment où elle ne pouvait pas juste essayer de penser à autre chose, ses idées noires finissaient toujours pas la rattraper. Vivre avec ces souvenirs lui semblait impossible, ils réveillaient en elle une souffrance encore plus profonde et qu'elle savait être l'écho de son passé oublié. L'état de transe dans laquelle elle était tombée ce soir là, ce moment où quelqu'un d'autre avait bougé son corps pour tuer ces trois soldats, c'était cette personne qu'elle avait été, il fut un temps. Une personne qui avait dû vivre bien pire pour l'oublier. Quand elle y repensait, elle ne voulait plus savoir qui elle était.

C'est sur cette pensée qu'elle finit pas s'endormir, poursuivit jusque dans ses rêves par ses souvenirs. Tous s'y mélangeaient pour y prendre des formes infernales, des soldats de feu la pourchassaient, ses jambes disparaissaient et elle se retrouvait clouée au sol, incapable du moindre mouvement, ne pouvant que subir ce que Morphée décidait de lui infliger.

Comme la veille, elle se réveilla au milieu de la nuit, en sursaut. Mais cette fois-ci, quelque chose l'empêchait de se relever ; le bras d'Esteban, dont le propriétaire était somnilant, visiblement lui aussi tiré de son sommeil. Il ouvrit la bouche pour parler, probablement pour expliquer son geste mais Hella posa une main sur son visage pour l'arrêter. Elle essuya son visage humide avant de se retourner complètement pour faire face à son sauveur et se blottir contre lui. Il murmura ces quelques mots à son oreille :

« Essaie de fixer ton esprit sur un de tes sens pour ne plus penser à rien, tu limiteras les cauchemars. »

Dans cette position elle ne voyait plus la lumière des flammes, juste un noir quasi absolu. L'odeur forte d'Esteban remplaçait celle agréable de l'herbe sèche, pourtant elle se sentait bien dans ses bras. Elle décida de suivre son conseil et de se rattacher à cette odeur, ainsi qu'à la chaleur qui se dégageait de son corps, à la douceur de sa respiration contre son visage. Enfin elle entendit les battements de son coeur et s'endormit profondemment.

 

Le réveil fut plus que brutal. Hella se sentit soulevé du sol et jeté contre un tronc d'arbre. Le temps qu'elle se remette du choc et qu'elle songe à se défendre, ses bras étaient ligotés dans son dos et on la trainait par les poignets. Elle se croyait toujours dans un mauvais rêve quand on l'enferma dans un coffre de métal, même si ses poignets et son dos lui faisaient horriblement mal, lui confirmant ainsi que tout ceci était bien réel. Esteban. Tout s'était passé si vite qu'elle n'avait pas eu le temps de penser à lui. La jeune fille se releva difficilement, essayant de glaner des informations à travers la petite lucarne qui laissait filtrer un peu de lumière. Son état nauséeux s'expliquait par le mouvement de la roulotte de fer qu'on tractait avec deux chevaux. Il y avait en face d'elle une deuxième roulotte où on avait peint un puma doré. Ses jambes se dérobèrent sous elle, coupées par une peur soudaine. Elle se réfugia le plus loin possible de la lucarne. Ils l'avaient retrouvée, elle était coincée.

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14 décembre 2014

Hirokane Chap 3

* Tousse* Mon chat avant mangé mon calendrier ... 

Oui bon, je suis en retard, désolée >.<"

 

Emili

 

 

CHAPITRE 3



Après une bien mauvaise nuit, ce fut le bruit strident du réveil qui sortit Akane des bras de Morphée. Si elle s’était endormie rapidement après cette première journée riche en émotion, son cerveau avait lui décidé de ne pas prendre de repos et l’avait maintenue dans un état de demi-sommeil tout au long de la nuit. Chaque détail de sa journée avait été vu et revu, sondé, analysé pour tenter de répondre à une question. Qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête la veille avec cette fille ? Rien de ce qu’elle avait fait la veille ne lui ressemblait. Se laisser intriguer par Hiro, lui confier une partie de ses soucis, ne pas l’étriper après ce baiser volé. C’est donc un peu groggy et ronchonne qu’Akane sortit de son lit pour manger un petit-déjeuner rapide.

 

Tout en se regardant dans la glace en se brossant les dents, la jeune étudiante se demandait ce qu’elle allait bien pouvoir faire si Hiro se pointait en cours. Elle n’avait pas prévu cette éventualité puisqu’il était clair pour elle que la japonaise avait tourné le dos à l’éducation. Quand elle lui avait demandé de venir en cours, Akane ne pensait pas, elle n’avait pas pensé de toute la soirée en fait, et pourtant elle n’avait pas touché à une seule goutte d’alcool. L’étudiante se passa de l’eau fraîche sur le visage pour tenter de se réveiller et se fixa une nouvelle fois dans la glace, passant le bout de ses doigts sur ses lèvres. Hiro l’avait embrassée, pour la mettre en colère certes, mais ça l’avait un peu perturbée malgré tout. Elle secoua la tête. Il fallait qu’elle se dépêche de se préparer pour aller en cours et en avoir le coeur net, est-ce que cette fille avait accordé une réelle importance à cette “promesse” ou non ? Ce suspense allait la rendre folle. Le téléphone sonna alors qu’elle allait passer la porte, un rapide coup d’oeil à sa montre ; elle avait encore le temps de répondre à son portable, et, au pire, elle pourrait toujours raccrocher en chemin.

“Je suis toujours en vie M’man, t’as pas besoin de prendre des nouvelles tous les jours … Oui oui je sais, mais j’suis sortie hier soir. Des amis ? Oui on peut dire ça. Les garçons ? Haha dis pas de conneries M’man, tu me connais, je les fais fuir comme la peste. Ouais, ouais t’en fais pas, je suis prudente et les gens dangereux de la ville ne me feront pas de mal.”

La conversation dura la moitié du chemin, Akane rassurant toujours un peu plus sa mère inquiète. Si elle savait la sordide lubie que sa fille s’était découverte la veille … Le bâtiment qui abritait l’immense salle de cours se dressait désormais à l’horizon, l’heure était venue de raccrocher malgré les complaintes de sa mère. Un “bisou M’man” plus tard, Akane se tenait devant l’entrée, cherchant du regard des étudiants qu’elle reconnaîtrait. La bonne nouvelle c’était qu’il y avait des visages connus, la mauvaise c’était qu’il s’agissait toujours des trois pimbêches. Et pas de Hiro à l’horizon, d’un autre côté … Akane lui avait-elle donné la salle et l’horaire ? Mais elle avait l’air plutôt débrouillarde cette fille … Et puis merde, pourquoi elle se faisait cette réflexion ?! Elle ne voulait pas voir cette fille débarquer.

“Salut les filles, commença-t-elle en s’approchant.

- Ah salut ! Alors comment t’as trouvé cette première journée ? Cigarette ? proposa la blonde en lui tendant un paquet de Marlboro.

- Non merci, je ne fume pas. C’était une journée sympa dans l’ensemble … Mais j’ai pas eu le temps de passer chercher les bouquins que les profs ont demandés …

- T’es sortie ? Dès le premier soir ? Tu rigoles pas toi, commenta une deuxième dinde.

- Sortie ? Oh non je suis juste allée faire un peu de sport, pour pas perdre le rythme … Hum j’vais entrer, j’vous attends à l’intérieur.”

L’heure était venue de fuir. Ces filles lui avaient plutôt paru hostiles à l’égard d’Hiro, alors leur dire qu’elle avait passé une bonne partie de la soirée avec elle était sûrement une mauvaise idée. Akane n’était pas prête à subir leurs remarques. La brunette se dirigea vers l’entrée de la salle qui se trouvait à quelques mètres de l’entrée du bâtiment et chercha rapidement un endroit où s’asseoir. Elle avait dit à ces filles qu’elle les retrouvait à l’intérieur mais elle n’en avait pas vraiment envie maintenant qu’elle y repensait, une place seule serait aussi bien. Akane jeta son sac sur une place à l’écart des autres, en bout de rangée, et s’installa en faisant mine d’écrire. En réalité elle gribouillait simplement, cherchant à évacuer tout son stress, toutes ses appréhensions, dans une tâche mécanique et instinctive.

 

Le cours commença, les filles entrèrent un peu après que le professeur ait déposé ses affaires sur le bureau. Elles dévisagèrent Akane, sans trop comprendre pourquoi elle s’était installée seule mais ne s’en formalisèrent pas, après tout, elles se connaissaient depuis trop peu de temps pour que cela ait une quelconque importance. Le cours débuta lentement, le prof devait se présenter, les élèves devaient écouter sans trop parler, rien de bien exaltant pour l’instant. Et surtout, toujours pas de Hiro. Akane commençait à se dire qu’elle avait été stupide de lui demander de venir mais plus encore, qu’elle avait été stupide de penser qu’elle viendrait. Qu’espérait-elle, franchement ? Elle jeta un coup d’oeil à sa montre, le cours avait déjà commencé depuis deux bonnes heures alors que la veille à huit heures, Hiro était déjà en train de hanter le campus. Elle avait dû fuir pour éviter Akane ou alors elle la regardait, cachée quelque part, et elle riait un bon coup.

Un grincement sortit Akane de ses pensées, celui d’une porte qu’on ouvre sans chercher à être discret. Son regard se posa sur la dite porte avant que le rouge ne lui monte aux joues : Hiro. Elle était venue, finalement. Sans trop réfléchir, encore une fois, à ce qu’elle faisait, la brune leva la main en direction d’Hiro, lui indiquant la place libre à côté d’elle, sous le regard surpris et médusé des autres élèves. Pourquoi est-ce que les connexions de son cerveau semblaient s’éteindre dès qu’elle croisait cette fille ? Hiro s’approcha, titubant et renversant une chaise auprès de laquelle elle s’excusa pour finalement arriver devant Akane.

“Mais qu’est-ce-qu’elle foutait là cette chaise ?

- C’est pratique pour les gens qui veulent s’asseoir.

- Merci, Captain Obvious.”

L’étudiante laissa à Hiro le temps de s’installer avant de s’inquiéter de son état. Si elle en croyait l’odeur d’alcool qui suivait la japonaise, la nuit avait été mouvementée et venir en cours avait dû nécessiter beaucoup de “motivation”. Ce n’était définitivement pas une bonne idée, autant pour Akane que pour Hiro. De l’autre côté de la salle, Akane pouvait entendre des murmures, des chuchotements qu’elle aurait juré être désagréables à son encontre, ou bien à celle d’Hiro. C’en était bel et bien fini de sa réputation, dès son deuxième jour à l’université. Dire qu’elle devait y rester 4 ans... Akane tourna la tête vers Hiro et se pencha sur son bureau pour parler plus bas.

“Tu peux me dire ce que tu fous ? C’était pas gravé dans le marbre … si tu voulais pas venir … Et puis c’est quoi ça ? Tu te pointes à la bourre, dans un état second, sans que ça choque le prof ? C’est quoi ton secret ?

- Mon secret ? Je dirais que ton prof m’a à la bonne …”

Hiro accompagna sa phrase d’un clin d’oeil et d’un petit sourire au coin. Akane ouvrit de grands yeux surpris, avant de piquer un fard et de se reconcentrer autant qu’elle le pouvait sur son cours. Elle ne voulait pas en savoir plus, là, elle voulait juste fuir le plus loin possible de cette fille et de cette université où sa vie allait probablement devenir un enfer. Discrètement et en tentant de rester calme, Akane souffla à Hiro de se tenir pendant le cours, elle aurait l’occasion de lui dire le fond de sa pensée une fois sortie de cette salle devenue soudainement très étouffante.

 

Un peu ronchonne, Akane tentait de suivre le cours, faisant abstraction de la loque affalée sur sa table, juste à côté d’elle, mais c’était sans compter sur celle-ci, qui semblait à la fois amorphe et bien réveillée. L’étudiante sentit qu’on frôlait son bras, elle essaya de l’ignorer mais Hiro se faisait de plus en plus insistante.

“Boude pas, ça arrive à tout le monde de pas venir très frais en cours, pas la peine d’en faire tout un drame… Tu sais, je plaisantais tout à l’heure, je le connais pas ce prof. Mais il osera jamais me virer quand même, parce que je lui fais peur. Je connais très bien les rumeurs qui circulent sur moi, je n’ai jamais rien fait pour les détromper.”

Akane soupira, qui était-elle de toute manière pour faire la moindre remarque à Hiro ? Après tout, elles ne se connaissaient que depuis un jour, une pauvre journée où elles avaient parlé deux fois. La brunette essayait tant bien que mal de suivre son  cours, alors que sa colère jouait au yoyo. De toute façon, qu’elle le veuille ou non, il fallait qu’elle s’occupe l’esprit, et accessoirement qu’elle évite de rater le début de son année à cause d’une inconnue et de sa stupide naïveté. C’est donc dans un silence relatif, et sans accorder plus d’attention à Hiro, qu’Akane laissa le cours défiler. Quelques coups d’oeil par-ci par-là pour s’assurer que la jeune fille légèrement imbibée ne sombrait pas dans un profond coma furent suffisants. Les deux heures restantes arrivèrent finalement à leur terme, le prof ne quittait pas Hiro du regard, espérant sûrement qu’elle quitterait la salle pour ne jamais y remettre les pieds. Là-dessus, Akane ne pouvait que plaider coupable, mais tant pis. Ce n’était pas le pire, le pire c’était qu’une des filles avec qui la jeune étudiante avait vaguement commencé à sympathiser s’approchait et qu’elle n’avait pas l’air de venir en amie.

“Je sais pas ce que tu fous là, mais tu devrais te contenter de foutre le bordel à l’extérieur de la fac. On veut pas d’une fille comme toi ici, t’y as pas ta place ! Et toi Akane … je te pensais plus intelligente que ça, trainer avec une salope dans son genre… Elle prend, elle jette, crois pas que tu sois différente … Tu me déçois, ou alors, comme on dit, qui se ressemble s’assemble …”

La blondasse resta plantée face à Akane qui avait commencé à ranger ses affaires pour quitter la salle. Elle était vraiment sérieuse là, à faire sa scène devant tout le monde ? Merde, Akane n’avait pas imaginé que les choses puissent prendre cette tournure, et même si elle avait envie de fuir pour éviter le scandale, ce n’était pas dans sa nature de se laisser insulter, ni même de laisser quelqu’un d’autre se faire insulter. Ses poings s’étaient serrés alors que la blonde déversait son venin et c’est sur ces mêmes poings qu’Akane s’appuya pour se lever et faire face à la vipère.

“Et ce que tu penses devrait m’intéresser parce que … ? Je te connais pas, tu me connais pas. Mais visiblement tu sembles en savoir pas mal sur Hiro, ce que j’en déduis, c’est que si ton dicton est correct alors de nous deux, la plus salope c’est toi. Maintenant fous-moi la paix, toi et ta bande de pétasses.”

Akane inspira profondément avant de finir de jeter ses affaires dans son sac à dos. Une fois le sac sur son épaule, la brunette attrapa la main d’Hiro pour l'entraîner hors de cette salle hostile. Mais Hiro ne bougea pas d’un pouce et semblait concentrée sur autre chose. L’étudiante se tourna pour voir ce qui l’empêchait de quitter cet endroit compte-tenu de l’amour que lui portaient les autres mais tout ce qu’elle put voir fut la blonde qui amorçait ce qui ressemblait à une gifle. Aie. Ca, Akane ne l’avait pas prévu, mais Hiro semblait elle y avoir fait attention et, d’un geste, elle attrapa le bras de Tiffany avant de l’attraper à la gorge pour la plaquer contre la table.

“Lève la main sur elle et je te tue.”

 

C’était clair, et plutôt terrifiant. Un frisson glacé parcourut l’échine d’Akane, quelque chose dans le ton d’Hiro et dans son regard laissait penser qu’elle en serait vraiment capable. Il fallait vite sortir d’ici. Tiffany resta interdite, c’était donc l’occasion de filer à l’anglaise. Akane réitéra son geste, saisissant Hiro par le poignet pour l'entraîner avec elle en dehors de cette salle où l’atmosphère était devenue bien trop lourde. Pendant de longues minutes elle se contenta de marcher, traînant plus ou moins Hiro derrière elle. Elle avait besoin de calme, de silence, d’espace. Oh, un marchand de hot-dogs ! Akane acheta deux hot-dogs et reprit sa route, espérant qu’Hiro la suivait toujours, ou ne l’espérant pas, elle n’était plus très sure. Le calme avec lequel la jeune rebelle avait prononcé ces quelques mots avait flanqué un bon coup de massue à Akane. Elle en était certaine, cette fille c’était des emmerdes à n’en plus finir, alors pourquoi la trainait-elle avec elle ainsi ? Sûrement parce que dans son esprit rêveur, il n’y avait pas de vrai méchant. C’était l’heure du repas et Akane voulait trouver un endroit calme, un endroit où Hiro ne risquerait pas de menacer la vie d’une autre personne, bien que la question se posait toujours pour sa propre vie. Mais tant pis, il y avait du monde partout de toute manière. La brunette s’arrêta net au milieu d’un des chemins qui reliaient les différents bâtiments entre eux avant d’aller s’adosser contre un arbre. Elle lança un des hot-dogs à Hiro accompagné d’un regard noir en guise d'assaisonnement.

“Merde mais … C’était quoi ça ? Cette fille elle avait vraiment l’air de savoir ce qu’elle disait, que j’approuve ou pas … Et toi, c’est quoi cette idée de la menacer ? J’peux me défendre toute seule. J’aurais jamais dû te parler, je suis trop conne.”

Hiro ne répondit pas tout de suite, prenant d’abord le temps de lancer son hot-dog juste à côté d’Akane, visant visiblement la jeune étudiante à l’origine.

“ Toi, qu’est ce que tu fais ? C’était quoi hier ce délire “je te raconte ma vie, tu me racontes la tienne” si c’est pour faire la fille outrée le lendemain ? Qu’est ce que tu me veux ? Toi aussi tu veux ton frisson d’adrénaline, comme les autres ? Le petit moment rebelle avec la clocharde mystérieuse parce que tu quittes la maison de maman. Pourquoi tu m’as demandé de venir à ton stupide cours si tu es aussi conne que les autres ? Et maintenant tu me traînes avec toi tout en me disant que tu n’aurais jamais du m’adresser la parole. C’est quoi ton problème, sérieux ?

- Mon problème ? Je …”

Akane ne trouvait pas quoi répondre à ça. Son problème ? En avait-elle seulement un à vouloir s’intéresser et aider une fille qui s’était montrée gentille avec elle ? Sûrement, quelque chose ne tournait pas rond chez elle pour qu’elle laisse sa chance à une délinquante, droguée, alcoolique et violente. Elle releva son regard vers Hiro.

“Laisse tomber, tu n’y es pas du tout. Ou alors t’as raison, j’en sais foutre rien moi. C’était une mauvaise idée de te demander de venir, maintenant je m’en rends compte. J’ai mieux à faire, je … laisse tomber !”

Le moment était mal choisi pour réfléchir, Akane avait d’autres cours l’après-midi et, parti comme c’était parti, elle aurait trop la tête ailleurs pour s’y intéresser. Merde. Pourquoi avait-elle eu cette idée stupide ? Ces idées stupides, ces gestes stupides. Rien de tout ça ne lui correspondait et elle avait envie de s’arracher les yeux en guise de châtiment. Elle ne pouvait pas aller en cours comme ça, tant pis. Mais d’un autre côté, il y avait sa mère, elle ne pouvait pas lui faire faux-bond pour l’université à cause de cette rencontre décevante et de ses choix douteux. Elle laissa Hiro là sans réfléchir plus longtemps et partit presque en courant jusqu’à son dortoir, il fallait qu’elle mette de la distance entre elles deux. Akane ne croisa personne de connu en chemin, c’était une bonne chose, mais courir lui laissait le temps de reconsidérer ses choix. Elle s’arrêta en cours de route, s’engouffrant finalement dans le bâtiment où se déroulerait son cours de l’après-midi. Fuir et se cacher, ce n’était pas elle, un autre choix stupide guidé par son instinct. Il fallait qu’elle organise ses pensées avant la reprise des cours, qu’elle se calme. Elle alla donc se planquer dans les toilettes avant de sortir son téléphone.

“Décroche, allez décroche … M’man ?”

 

Mais l’appareil quitta sa main avant qu’elle ai entendu la réponse. Hiro se tenait devant elle, haletante, son téléphone à la main. La délinquante s’accorda une courte seconde pour déglutir avant de justifier son geste :

“Juste une minute. Je n’aurais pas dû te parler comme ça, je suis désolée. Et je n’aurais pas du venir dans cet état en cours non plus. Je pense juste que … C’est une très mauvaise idée que tu t’accroches à moi comme ça. On est d’accord pour dire que je t’apporterais que des ennuis et que t’as mieux à faire. C’est mieux qu’on ne se revoit plus du tout. Les gens vont vite oublier et ça ira pour toi. Bonne chance.”

Hiro termina son discours en posant le téléphone dans la main de sa propriétaire, la gratifiant d’un dernier sourire au coin avant de partir de la pièce, sans se retourner. Akane approcha le téléphone de son oreille, sans lâcher des yeux la porte qui venait de se refermer. La voix à l’autre bout de la ligne appelait sa  fille dans le vide depuis tout à l’heure, elle était naturellement inquiète face au silence d’Akane. L’étudiante prit une profonde inspiration.

“M’man, tout d’abord, t’as pas de raison de t’inquiéter.

-  Vraiment ? C’est à peine ton deuxième jour de cours et tu m’appelles, comme ça, au milieu de la journée …

- Non j’te dis que ça va, repose-toi. J’ai juste une question, plusieurs même … En fait, est-ce que c’est mal si je veux aider une personne mais que cette personne risque de m’attirer des ennuis ?

- Des ennuis ? Et tu me dis de pas m’en faire … Alala ma chérie … Tu changeras jamais. Ca dépend, cette personne, elle est importante pour toi ?

- J’en sais rien, je la connais à peine.

- Hum, une fille de ton cours ?

- Non c’est plus compliqué … Mais c’est stupide n’est-ce pas ? Je peux pas aider le monde entier …

- Pourquoi est-ce que tu veux l’aider, spécialement elle ? Tu sais, je t’ai déjà expliqué qu’on avait tous nos soucis, et qu’il ne fallait pas que tu te laisses envahir par ceux des autres ...

- Je ne sais pas, elle s’est montrée tellement gentille avec moi … Je ne suis même pas sûre qu’elle ai réellement des problèmes, mais si tu la voyais... Il y a quelque chose de tellement triste dans son regard, parfois...

- Cette fille, tu es sûre que c’est pas un garçon qui te plait ? Hum ?

- Quoi ? Non, quelle question ! Enfin, je suppose que c’est déjà trop tard. Je me suis énervée contre elle et je crois bien qu’elle ne voudra plus jamais me parler, j’ai tout gâché …

- Si c’est vraiment important pour toi, tu n’abandonneras pas aussi facilement. “

Inconsciemment, le regard de la jeune étudiante s’était fixé sur sa montre, dont elle voyait l’aiguille défiler. Son cours allait bientôt commencé, juste le temps de lui dire au revoir, et sans laisser le temps à sa mère d’ajouter quoique ce soit, Akane raccrocha et bascula la tête en arrière, tentant de se calmer. C’est d’ailleurs à ce moment qu’elle réalisa l’état d’énervement dans lequel elle était, pas un énervement du type colère qui fait du bruit, non, plutôt un énervement purement nerveux. L’étudiante redressa la tête et inspira profondément. Elle savait que sa mère avait raison sur un point, elle n’abandonnerait pas, mais pour l’instant, elle était encore en colère contre Hiro. Et puis elle n’était même pas sûre de la revoir un jour. La délinquante n’avait aucune raison de revenir en cours après ce qu’il s’était passé, et Akane n’avait aucune idée d’où la trouver en dehors de la salle de sport. Quand elle y repensait, Akane se demandait si Hiro n’avait pas raison sur son compte, sur ce qui la poussait à lui proposer son aide. Etait-elle à la recherche d’une part de frisson dans sa vie si monotone ? La brunette secoua la tête, s’apprêtant à sortir des toilettes avant de se regarder dans le grand miroir en face d’elle, soupirant légèrement. Elle se motiva finalement à quitter le calme de ce lieu, avançant dans le couloir sans faire attention devant elle. Elle se heurta légèrement à une personne qu’elle n’avait pas vu et releva la tête en commençant à s’excuser.

“Pardon je … Oh non, pas maintenant.”

L’étudiante soupira sans cacher son agacement en voyant Tiffany et sa clique, le moment était mal choisi. Mais à sa grande surprise, la blonde n’en rajouta pas et se contenta de tracer sa route. Hiro lui avait réellement fait peur, là dessus Akane ne pouvait pas la blâmer et en même temps elle n’en voulait pas vraiment à la délinquante d’avoir ruiner toute perspective d’amitié avec cette fille, maintenant qu’elle avait vu son vrai visage. Elle se rendit donc à son cours, fort heureusement elle n’y revit personne des cours du matin, au moins elle n’aurait pas à subir les jugements des autres.  C’était une matière qu’elle n’avait pas encore commencé, normal le lendemain de la rentrée mais il s’agissait également d’un cours qui était dispensé pour la première fois dans l’université à ce qu’elle avait entendu au moment des inscriptions. Le professeur était déjà installé à son bureau lorsqu’elle entra dans la vaste salle pour aller s’installer au fond. C’était un homme qui avait déjà une bonne quarantaine d’années, il n’avait pas l’air souriant ni même causant au premier abord, ne prenant même pas la peine de répondre aux élèves qui le saluaient en entrant. Akane sortit son bloc-note et son stylo de son sac, griffonnant quelques bricoles comme la date, et l’intitulé du cours, attendant plus ou moins patiemment que le professeur daigne commencer son cours. Un rapide coup d’oeil à sa montre lui indiqua qu’ils auraient dû commencer depuis dix minutes. Plus aucun élève ne semblait arriver, il n’y avait donc aucune raison de perdre plus de temps. Et pourtant l’homme restait là, assis à son bureau, feuilletant, semblait-il, un magasine. Une voix masculine s’éleva derrière Akane qui tourna légèrement la tête.

“Monsieur, on ne commence pas ?

- Vous me posez là une excellente question jeune homme. Commencer, ou ne pas commencer ? Vous êtes là, donc je suppose que vous avez tous décidé de commencer la fac, de commencer la vie … Donc puisqu’il faut commencer, je vais me présenter rapidement et après vous ferez de même, sur papier, avec environ 1000 mots.”

Une vague de protestation se fit entendre dans la salle de cours, protestation que partagea Akane qui n’avait pas envie de disserter sur elle-même pour le moment, mais c’était sûrement un test donné par ce professeur, alors elle le relèverait avec brio comme elle avait l’habitude de le faire. Ce devoir improvisé eut le mérite de faire passer l’après-midi rapidement, d’autant plus qu’il leur avait donné le reste des quatre heures pour le faire. Au bout de 10 minutes, son voisin l’interpella, vraisemblablement aussi motivée qu’elle. Un regard vers le prof lui permit de constater qu’il se fichait éperdument de qui discutait ou qui travaillait.

“ - Salut, je m’appelle Jonathan, et toi ?

- Akane.

- Ah, c’est japonais ça ! Je me demandais de quel pays tu venais, j’ai ma réponse. Moi je suis français, tu vas rester longtemps ici où tu rentres chez toi à la fin du semestre ?

- En fait, je suis née pas loin d’ici, je ne suis japonaise que d’origine.

- Oups, désolé. Haha, j’arrive à peine et j'enchaîne les bourdes, quel gros boulet …”

Akane se mit à rire, et la discussion reprit aussitôt. Jonathan n’avait rien comme les autres élèves, beaucoup plus curieux et sociable, un rien le faisait sourire, tout l’intéressait. Il lui expliqua qu’il était dans la salle ce matin et qu’il avait tout vu, mais qu’il se fichait complètement des ragots et des premières impressions. Au bout d’une heure, ils s’échangeaient leur feuille pour décrire l’autre, en profitant pour faire rapidement connaissance.

 

Akane put enfin retrouver le confort relatif de sa chambre après ce cours pour le moins étrange mais où elle avait pu se faire un ami qui n’avait pas l’air d’avoir activé le mode autodestruction de sa vie. Bien entendu, il y avait pas mal de travail qui l’attendait, notamment un devoir à rendre au professeur grisonnant qui, non content d’avoir droit à une présentation de ses chers étudiants, avait également demandé une présentation de leur “moi” parfait. L’étudiante jeta son sac sur son lit et se mit rapidement au travail avant de finalement abandonné devant la blancheur de sa feuille ; ses idées étaient trop confuses pour l’instant. Quand elle essayait de visualiser sa version 2.0, c’était forcément une fille aisée, mais qui gardait toutes les qualités dont elle disposait déjà. Aider son prochain, voilà ce qu’elle voulait toujours faire, dans tous les scénarios qu’elle pouvait inventer … voilà ce qu’elle avait lamentablement raté le matin même avec Hiro.

Laissant donc son devoir de côté, après tout elle avait une bonne semaine pour le travailler, Akane décida de se faire un morceau à manger. Toutes ses pensées la menaient toujours au déroulement de cette journée, tournant et retournant les événements sous tous les angles. Elle n’aurait peut être pas dû tourner les talons à la première difficulté, mais elle était si confuse à ce moment là, si indécise … Son lit fini par lui lancer des appels désespérés jusqu’à ce qu’Akane se laisse tomber dessus, vaincue par la fatigue accumulée ses derniers jours. Il était trop tard pour changer quoi que ce soit, peut être que la nuit allait lui porter conseil.

 

Bien sûr il fallait plus qu’un peu d’abnégation pour qu’elle retrouve le sommeil, et c’est une nouvelle nuit agitée qui se déroula pour Akane. Elle parvint finalement à fermer l’oeil à trois heures du matin passé et dut esquiver l’appel maternel du matin pour ne pas être en retard en cours. Une fois encore, la chance lui souriait et elle ne croisa personne susceptible de la contrarier un peu plus qu’elle ne l’était déjà. Une petite partie d’elle espéra néanmoins voir Hiro pointer le bout de son nez en cours, mais non, la jeune femme ne se montra pas. Rien d’étonnant pourtant, elle n’avait pas sa place en cours, parmi des gens sans problèmes. C’est donc une nouvelle journée qui passa, à base de cours d’anglais et de communication, sans Jonathan pour l’aider à passer le temps. Sa mère rappela vers vingt heures, cette fois, il fallait qu’elle lui réponde. L’inquiéter était la dernière des choses qu’elle voulait faire.

“Salut M’man …

- Je m’inquiétais, tu sais … Tout va bien ma chérie ?

- Oui, t’en fais pas pour moi. Et toi ? Tu prends bien ton traitement n’est-ce pas ?

- Oui oui, maman est une grande fille tu sais. Tu t’es finalement décidée à aider cette fille alors ?

- J’en sais rien, je ne l’ai pas recroisé. M’man j’suis crevée, est-ce qu’on peut parler plus tard ?

- D’accord ma puce, mais surtout, ne te pose pas trop de question, sois simplement toi-même.”

La mère embrassa sa fille par téléphone et lui conseilla une bonne nuit de sommeil. Elle était adorable. La brunette bâcla le travail qu’elle avait à faire et se jeta sur son lit pour tenter de dormir. Son sommeil, loin d’être réparateur, était un genre de film catastrophe, dramatique, où elle lisait dans les journaux qu’une jeune fille était décédée sur le campus, une fille qui n’était pas étudiante dans les lieux et qui avait succombé à un quelconque mal. Mais le pire était quand même la raison de la mort de cette fille, qui ressemblait à s’y méprendre à Hiro ; son amie l’avait abandonnée. Par moment, il y avait des flashs, mêlant à la fois sa mère et son prof, chacun cherchant à la conseiller, à l’aider à être elle-même et à donc aider Hiro. Akane se réveilla vers quatre heures du matin, encore habillée, enroulée autour de son oreiller et soupira longuement. Quelques tours dans le lit et il était déjà six heures, elle jura. Son esprit n’arrêtait pas de cogiter, cherchant à comprendre pourquoi elle voulait aider Hiro, à la connaître, pourquoi elle s’intéressait à ce qu’il pouvait arriver à cette fille. “Akane la petite mère des pauvres, morte tuée par sa curiosité” Voilà ce qu’on lirait sur sa tombe sous peu si elle continuait dans cette voie. Et en même temps elle n’arrivait pas à passer à autre chose. L’excuse qu’elle avait donnée à sa mère était incomplète. Ce n’était pas juste pour lui rendre la pareil ou pas pure compassion, il y avait autre chose, quelque chose qui l’obsédait, malgré le danger que pouvait représenter Hiro. Elle n’arrivait pas à laisser filer cette histoire et à profiter de l’université, pas comme ça en tout cas.

 

Cette nouvelle journée de cours se passa comme la précédente, pas trépidante, mais suffisamment pour divertir Akane quelques heures et lui permettre d’apprendre quelques petites choses utiles sur le campus. Le dernier cours s’était éternisé à cause d’un vieux prof qui n’arrêtait pas de parler et d’élèves trop intéressés qui n’arrêtaient pas de poser des questions. Il était déjà près de dix-neuf heures lorsqu’Akane quitta le bâtiment pour rejoindre son dortoir. Chose qu’elle ne fit cependant pas tout de suite ; non, avant elle devait vérifier quelque chose, tant pis pour la pluie qui commençait à tomber. Akane mit son sac sur la tête et se dirigea vers la salle de sport, Hiro s’y trouverait peut-être. C’était un espoir qui l’avait porté toute la soirée, celui de pouvoir s’expliquer avec elle à tête reposée. Mais là encore, aucune trace de la délinquante, la brunette commençait à se dire qu’elle avait sûrement quitté les alentours du campus et repartit en direction du dortoir. Le lendemain ressembla exactement au jour précédent, et le week end arriva finalement, permettant à Akane de rentrer chez elle s’occuper de sa mère, tant pis pour la délinquante. Ses inquiétudes disparurent finalement, avant de réapparaître avec plus d’ampleur, dès son retour à l’université, si bien qu’elle ne remarqua qu’à peine que plus d’une semaine était passée sans qu’elle ne revoie son mystère ambulant. Ce n’était pas faute de l’avoir cherché un peu partout, mais impossible de mettre la main dessus, elle avait littéralement disparue, si bien que l’étudiante se mit à penser qu’elle ne la reverrait vraiment plus.

 

En sortant de cours, Akane fit un crochet par l’épicerie pour faire quelques courses. Il pleuvait de plus en plus fort, le sol était maintenant recouvert d’une fine couche d’eau. Son portable vibra, lui tirant un petit rire. Jonathan, qui lui faisait partager ses déboires d’étudiant étranger avec beaucoup d’humour. Akane n’avait son numéro que depuis deux jours, mais il se montrait si familier qu’elle avait l’impression de le connaître depuis des mois. C’était bien le seul à réussir à lui tirer un sourire avec tout ce qui la préoccupait … Lui et le prof psychopathe, qui trouvait chaque semaine un nouvel exercice bidon pour ne pas avoir à faire cours. Cette semaine, il fallait tout naturellement décrire son opposé. Encore un devoir qui allait lui donner du fil à retordre.

Une quinte de toux l’arrêta dans ses réflexions, Akane tourna la tête vers une ruelle. Il y avait quelqu’un, couché ou plutôt vautré sous un carton. Akane ne savait jamais comment se comporter dans ce genre de situation, elle se sentait triste et en même temps impuissante. Après une longue hésitation, elle décida de s’approcher pour donner à manger au sans-abri. Mais comme si le destin aimait bien jouer avec elle, Akane eut la surprise de reconnaître les traits d’Hiro, emmitouflée dans sa veste sous son pauvre carton. Elle se releva en voyant quelqu’un s’approcher.

“Ah la blague...

- Oui la blague … Haha … Allez, lève toi, tu vas te faire dégager sinon. Et viens, rien à dire, sinon tu vas choper la mort ici …”

C’était un signe du destin, elle avait une nouvelle chance d’aider Hiro et cette fois-ci, elle tiendrait bon. Akane repartit en direction de son dortoir, espérant qu’Hiro la suivrait. Les bruits de pas qu’elle entendait à sa suite étaient encourageants. Elle venait encore une fois de prendre une décision irréfléchie mais sa mère avait vu juste, elle n’était pas du genre à abandonner. Qu’Hiro soit une cause perdue ou non n’avait aucune importance, elle était heureuse de l’avoir retrouvée, mais triste que ce soit dans cet état. Elle qui voulait juste discuter un moment pour prendre sa décision se retrouvait à traîner une SDF chez elle, du Akane tout craché. Akane ne décrocha pas un mot de plus pendant le trajet et ne reprit la parole qu’une fois à l’intérieur et son sac jeté sur son bureau. Elle fouilla rapidement dans le placard et en sortit deux serviettes sèches dont une qu’elle jeta à Hiro.

Sèche-toi, j’ai de quoi faire à manger, mais ça sera pas de la grande cuisine.”

Akane fouilla dans ses courses et en sortit deux plats préparés, pas de la meilleure qualité mais tant pis, l’ambiance était trop étrange pour qu’elle se mette au fourneau pendant des heures, et puis il était déjà tard. Elle les passa au micro-ondes, fixant la délinquante pendant que le four tournait. Alors elle vivait vraiment à la rue … Si son air avait toujours eu quelque chose de débrayé, elle ne lui avait jamais donné l’air de dormir dehors. Aujourd’hui, par contre, ça sautait aux yeux, avec sa superposition de vêtement en lambeaux, son visage sale et plein de boue. Qu’est ce qui lui était arrivé ? Qu’est-ce qui avait pu pousser une fille de bonne famille à finir comme ça ? Le four sonna, mettant fin à la mince réflexion d’Akane qui sortit les deux plats pour les poser sur le bureau, si Hiro voulait manger, elle n’aurait qu’à se servir. De son côté, elle se contenta de grignoter en regardant toujours la délinquante avant qu’Hiro ne prenne la parole, lui arrachant un rire jaune.

T’es du genre lunatique toi, non ?

- Lunatique ? Tu … tu veux pas simplement accepter mon aide et arrêter de chercher une explication ? Couche-toi, j’suis sûre que t’es malade. C’est pas une proposition, c’est un ordre, couche-toi !”

Akane la regarda d’un air insistant et désigna le lit. Cette fille avait passé dieu seul sait combien de temps dehors, elle était sûrement robuste, mais il y avait des limites au supportable. A son grand étonnement, Hiro obtempéra et se coucha, reposant les serviettes mouillées sur la tête de lit, au passage. Première victoire de la journée, tout n’était pas perdu. Akane vint s’asseoir sur le bord du lit et posa sa main sur le front de la japonaise en grimaçant. Elle se releva et se dirigea vers son petit placard, en sortant un gant qu’elle passa sous l’eau fraîche au robinet avant de le poser sur le front d’Hiro. Elle n’avait peut-être pas beaucoup de fièvre, mais cela ne saurait tarder. Il pleuvait depuis plus de deux jours, si elle les avait vraiment passé derrière cette poubelle, ça n’avait pas dû être facile. A nouveau assise au bord du lit, Akane planta son regard sur Hiro.

“J’sais pas du tout pourquoi je t’ai demandé de venir en cours, ni même pourquoi je vais te proposer de dormir ici ce soir … Je dois être une bonne poire, c’est tout. Ca n’a aucun rapport avec ce que tu disais, je … je ne vois pas pourquoi ça serait ça …

- T’es pas obligée de faire ça, tu sais ? J’veux dire, je m’en sortirai, même si à me regarder ça semble pas évident, j’en ai vu d’autre.

- Oui je … je veux bien te croire même si je peux pas franchement imaginer. Mais j’ai envie de faire ça, t’aider. Tu te rappelles ce que je t’ai dit à la salle de sport, je suis comme ça … Tu peux dormir ici si tu veux, j’insiste.”

Akane se leva un instant et saisit l’un des plats préparés qu’elle tendit à Hiro. Dormir c’était une chose, manger en était une autre et la délinquante n’allait pas se remettre sur pieds sans reprendre un rythme à peu près régulier. La brunette revint s’asseoir sur le bord du lit et inspira profondément avant de reprendre la parole. Elle avait beaucoup de choses sur le coeur, des choses qui l’avaient empêchée de dormir pendant ces quelques nuits.

“L’autre jour, quand t’es venue en cours … même si les conditions n’étaient pas idéales, ça m’a fait plaisir. Je sais, c’est idiot, mais j’me suis dit qu’en fait, je pouvais t’aider. Seulement je me demande, pourquoi est-ce que t’es venue ? Et pourquoi t’étais dans cet état ? Ca me regarde sûrement pas, et je devrais pas mais, le fait est que je me fais du soucis pour toi. T’es à peu près la seule personne avec qui j’ai pu discuter d’autres sujets sortis du vernis à ongle ou des brushing … Évidemment t’es aussi la seule à menacer les gens, mais je suppose que l’un ne va pas sans l’autre.”

L’étudiante pouffa doucement de rire, son regard se posant sur la couette aux motifs floraux qui recouvrait son lit. Une vieille couette qu’elle avait ramenée de la maison, un peu de chez elle en somme. Elle releva la tête vers Hiro, cherchant encore à comprendre pourquoi elle voulait l’aider alors qu’il y avait sûrement tout un tas de personnes qui avaient besoin d’aide et qu’elle aurait pu donner de son temps autrement, en faisant du bénévolat par exemple. Et pourtant, elle l’aidait elle.  

“Hiro … plus sérieusement, je crois pas t’avoir remerciée pour avoir pris ma défense contre cette blondasse … Même si sur le moment, tu m’as un peu fait peur …

- Oui, j’y ai repensé après coup. J’ai réagi sur l’instant, ça m’arrive souvent. Quand la vie ne te fait pas de cadeau il faut pas lui en faire non plus, mais ça donne de sales réflexes. Je ne suis vraiment pas sûre que tu aies la carrure pour “m’aider”. Il y a beaucoup de chose que tu ne sais pas, en fait tu ne sais rien de moi et ce qu’il s’est passé en cours t’as déjà dépassé alors que c’était rien du tout, comparé au reste.

- Non … Oui tu as raison, mais je suis têtue. Que ça soit une bonne chose ou pas, je m’obstine. Et l’autre jour, j’ai été prise par surprise. Mais je suis sûre que je peux t’aider. Tiens d’ailleurs, là je t’aide en ce moment même. Et puis évidemment je sais rien de toi, moi je parle, je parle, mais au final, tu sais pas mal de choses sur moi alors que toi je sais simplement que t’as perdu pas mal de trucs importants.

- Ouais, ma dignité, mon intégrité … Jusqu’à mes chaussettes.”

Akane haussa un sourcil avant se mettre à rire et de lui proposer une paire de chaussettes. Hiro se mit à rire aussi, clamant que là elle se sentait vraiment aidée.

“ … Plus sérieusement, je ne peux pas te demander quelque chose  de cette envergure, parce que moi je sais ce qu’il y a sous l’iceberg. Je suis sûre que tu ne sais même pas par quoi commencer, je me trompe ?

- Tu ne me demandes rien, c’est moi qui te propose mon aide. Que je me brûle les ailes au passage, c’est mon problème … Et puis, et puis rien … J’veux simplement t’aider, t’as qu’à voir ça comme un remboursement pour ton aide du premier jour et pour m’avoir tenu compagnie l’autre soir.

- Pour l’instant, tu peux m’aider en me disant où j’peux prendre une douche.

- Sur le palier, cinquième porte sur la droite.

- … Ok laisse tomber la douche, j’vais juste me changer, ça sera suffisant.”

L’étudiante allait demander pourquoi mais se ravisa, chaque chose en son temps. Elle indiqua à Hiro un tiroir où elle pouvait prendre des vêtements pour se changer et se tourna pour lui laisser espace et intimité. Il fallait qu’elle arrive à se dire que tout était normal, même s’il y avait une personne qu’elle ne connaissait quasiment pas qui se changeait deux petits mètres derrière elle. Akane profita de ce moment pour débarrasser les restes de sa grande cuisine.

 

“Hum … Hiro, je peux te poser une question ?” Un grognement étouffé lui indiqua qu’elle pouvait.

“Tiffany, je la porte pas dans mon coeur mais je suis curieuse, pourquoi est-ce qu’elle te déteste autant ?

- En toute sincérité ? Elle voulait sa petite expérience, je lui ai donnée et je l’ai laissée en plan. Et je ne regrette rien, j’en rigole encore.”

Akane hocha la tête, enregistrant l’information avant de se figer. “Sa petite expérience”, que voulait-elle dire par là ? Quelques secondes passèrent avant que la brunette ne réalise ce qu’était la fameuse petite expérience dont parlait Hiro. Pourquoi est-ce que cela ne lui avait pas sauté aux yeux plus tôt ? Sûrement parce qu’Akane n’avait jamais envisagé cette possibilité, elle n’envisageait pas beaucoup de possibilités de toute manière. Elle se retourna d’un coup avant de reprendre sa position initiale, tournant à nouveau le dos à Hiro pour ne pas briser le peu d’intimité qu’offrait cette pièce. Elle se racla la gorge un instant avant de reprendre la parole.

“Mais euh … Hiro, alors tu aimes les filles ?”

Ce n’était pas la meilleure façon de poser la question, et Akane regretta ses mots aussitôt prononcés. Surtout que la révélation d’Hiro répondait déjà à la question, elle était donc stupide. Mais maintenant qu’elle avait posé la question, le mieux était d’attendre la réponse.

“La première chose que je t’ai dite c’est “salut ma belle”, ensuite je t’ai embrassé de force et tu te poses encore la question… ? Oui je les aime, passionnément

- Oh … Oui je … J’aurais dû me douter que ce n’était pas que de la provoc’, mais avec ta remarque au sujet du prof j’ai pensé que ...

- Le prof je le connaissais vraiment pas pour le coup.

- Merci pour la précision, ça m’aurait vraiment fait trop bizarre sinon … Mais Hiro dis-moi, est-ce que tu fais tout ça pour m'avoir ?

- Non, bien sûr que non. Quand je suis allée te voir dans ce couloir j’y pensais, mais j’ai changé d’avis assez vite. Tu es la première personne à m’avoir simplement demandé de faire du sport, sans rien attendre de moi en retour.

- Comment est-ce que j’aurais pu attendre quelque chose en retour ? J’veux dire … on se rencontrait à peine et …”

Akane se retourna, constatant qu’Hiro était habillée et la regardait. Depuis combien de temps ? Ca n’avait aucune importance, mais le petit sourire qui s’affichait sur son visage laissait présager des pensées fourbes. Un détail frappa cependant Akane qui n’eut pas le temps de lui demander d’éclaircir ses pensées. Pour la première fois, elle voyait Hiro en simple débardeur, et sa peau était recouverte de marques qu’elle interpréta rapidement comme des bleues de la taille de son poings, des coupures et des dizaines de cicatrice un peu partout sur ses bras nus. C’était ça la vie d’Hiro ? Akane ne pouvait même pas imaginer ce qui avait causé toutes ces plaies. Son coeur se serra et en deux pas elle brisa l’espace qui les séparait pour prendre Hiro dans ses bras, ne réfléchissant pas vraiment à ce qu’elle faisait.

“Laisse moi t’aider, tu n’as pas besoin d’avoir de nouvelles cicatrices …”

 

28 novembre 2014

Hirokane chap 2

C'est encore et toujours Emili ! 

On arrive, en toute logique, au deuxième chapitre de cet histoire. J'ai eu quelques retours, certains m'avaient déjà donné leur avis depuis looooongtemps, rien de bien nouveau. Par contre, je vois que personne n'a encore commenté. C'est mal ! Pourquoi ? Parce que le but de ce blog est de concentrer les lecteurs pour que vous puissiez nous donner votre opinion, en discuter, etc etc. Le but n'est pas vraiment de plaire, ces histoires sont clairement imparfaites, c'est la raison pour laquelle le retour est important ; plus il y a aura de remarques, plus on pourra cerner nos défauts et les corriger.

 

Bon lecture quand même et surtout, bon week end ! ^^

 

 

 

CHAPITRE 2



Hiro, ne sachant pas à quelle heure Akane sortirait de cours, avait passé son après-midi dans la salle de sport. Même pour la personne la plus sportive du monde, ça faisait un petit bout de temps à occuper. Mais elle ne s’était pas pour autant ennuyé, il y avait toujours des tas de choses à faire, des dizaines de machine à utiliser, ou juste des gens à regarder. Elle avait d’ailleurs son coin préféré, du côté des tapis roulant où elle pouvait marcher tranquillement, l’air de rien, juste en face d’un groupe de fille en train de faire semblant d’utiliser une machine. Un regard sur le côté lui permis de confirmer ses doutes : toute la rangée de tapis avait été prise d’assaut par la gente masculine, et les paramètres poussés à fond. Aaah, l’effet que pouvait faire les pantalons de yoga … Évidemment ça ne dura pas longtemps, la moitié était déjà rouge et coulant de transpiration alors qu’aucune des filles n’avait encore levé la tête de son téléphone. Hiro était, quant à elle, déjà passée à autre chose depuis longtemps. Elle cherchait une machine qui pourrait l’occuper un moment, mais près de la porte pour qu’Akane puisse la voir facilement en arrivant. Son regard se porta sur l’horloge murale : 19h30. Il commençait à se faire tard et la salle se vidait. Et si elle ne venait pas ?

 

Allongé sur un banc de musculation, Hiro mangeait lentement une pomme piquée dans les vestiaires en début d’après-midi. Dans le fond comme en surface, elle ne savait pas vraiment pourquoi elle attendait encore son prétendu rendez-vous. Akane avait juste dû changer d’avis une fois dans sa salle de cours, se faire des amis et finir sa première journée à l’université dans une soirée lambda. C’était sûrement mieux comme ça. Elle, en train de s’amuser et de se construire une vie sociale, et Hiro, seule, dans une salle vide à manger une pomme. En fait, le mieux c’était peut être de ne pas y penser. La délinquante se releva pour jeter le trognon de sa pomme vers une poubelle avant d’aller soulever la barre de son banc de musculation, plus pour s’occuper l’esprit que par envie.

« Surtout, rappelles toi de bien t'hydrater quand tu fais du sport !  »

La barre faillit lui échapper des mains, au point qu’elle préféra la reposer sur son socle le plus rapidement possible, avant de chercher à savoir qui avait osé l’interrompre en plein effort. Akane. Portant un vieux tshirt blanc trop grand et un jogging tout ce qu’il y a de plus banal, une bouteille d’eau tendue vers Hiro. Avant de s’en saisir, la délinquante attrapa une serviette qu’elle avait posé sur le rebord pour essuyer la sueur qui perlait sur son visage, cachant ainsi un sourire de satisfaction qu’elle n’arrivait pas à retenir. Elle était venue, finalement.

« Oui maman. Alors, laquelle de ces magnifiques machines tu veux tester ? »

Akane s’accorda une courte réflexion qui laissa à Hiro le temps de boire un peu.

« Hum ... je m'entraînais à porter des poids pendant mon travail, j'ai d'ailleurs failli casser le pieds de ma patronne quand elle m'avait pris le plateau des mains, héhé ... Je dirais ... pourquoi ne pas essayer celle-ci ? »

Akane désigna du bout du doigt le banc de musculation où Hiro était encore assise, celle-ci se leva pour lui laisser la place. L’étudiante s'allongea alors sur le banc et entreprit de soulever la barre, sachant Hiro pas très loin, elle était en sécurité si un incident devait arriver, normalement. Bien sûr, Akane ne put s’empêcher de penser qu’elle était en sécurité tant qu’il n’était pas avéré qu’Hiro était quelqu’un de peu fréquentable et tant qu’elle ne vérifiait pas cette théorie de morceaux et de sacs poubelles. Son regard se posa sur cette fille qui était presqu’une inconnue, comme si elle pouvait en apprendre plus en la regardant en contre-plongée. Mais rien n’y faisait, le mystère était toujours entier, et son appréhension mêlée de curiosité aussi. Akane souleva finalement la barre, plus facilement qu'elle ne l'aurait cru, ses entraînements acharnés avec son plateau de service avaient finalement portés leurs fruits, contre toute attente. Elle sourit à Hiro du mieux qu'elle put pendant son effort, sa partenaire de souffrance se tenait juste au-dessus d’elle. Au bout de quelques petites minutes, elle commença à transpirer et ses mains devinrent moites. Elle voulut lever la barre pour la replacer sur son socle mais une de ses mains glissa. Akane laissa échapper un petit cri de surprise et de peur.

 

Mais la barre  de métal ne s’écrasa pas sur son visage, Hiro l’avait arrêtée juste à temps et rapidement reposée avant que quelqu’un ne se blesse. Un petit rire nerveux s’échappa de sa gorge, dû au relâchement d’un stress trop violent. La japonaise s'agenouilla, embrassant la petite tête intacte d’Akane.

« Tu devrais favoriser les machines moins dangereuses à l’avenir. Même si, heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. »

Akane se releva d'un coup, manquant de tomber du banc de musculation, et n'osant faire face à Hiro, elle murmura un timide "merci". Elle n'était pas habituée aux gestes comme celui-ci. Peu de personnes s'étaient permises ce genre de familiarité et, de celles qui avaient tenté, aucune n'avait survécu assez longtemps pour le raconter. Elle fut d'autant plus surprise qu'Hiro n'avait pas l'air du genre à prononcer des paroles aussi douces après avoir embrassé le front de quelqu'un. Akane se tapota les joues pour dissiper les rougeurs qui y avaient fait surface et se tourna vers Hiro, s'apprêtant à combler le silence pesant de quelques phrases futiles. Mais elle fut interrompue avant d’avoir dit quoi que ce soit pas l’intervention d’une tierce personne.

C’était un homme tout ce qu’il y a de peu fréquentable, avec une veste dix fois trop grande et un baggy qui semblait prêt à tomber à tout moment. Difficile de dire s’il était gros ou mince tant il flottait dans ses vêtements. Son regard se porta sur Hiro comme s’il la connaissait de longue date, celle-ci semblait par contre presque choquée de le voir, Akane jurerait voir une lueur de panique dans ses yeux, suivie d’une pointe d’agacement. Une conversation semblait se dérouler devant elle, alors qu’aucun mot n’avait été prononcé, une conversation de laquelle elle se sentait exclue, une situation étrange dont elle n’était pas habituée et qui la mit mal à l’aise. Et c’est dans le même silence que la japonaise se leva, laissant en plan la nouvelle étudiante sur son banc de musculation, pour aller s’entretenir en privé avec cette étrange personne. L’air nonchalant d’Hiro avait laissé place à une attitude tendue, aux aguets, au point qu’Akane n’osait les observer qu’avec beaucoup de prudence, jetant ci et là quelques coups d’oeil dans leur direction, cachée derrière sa frange brune. Une main serrée en guise d’au revoir attira son attention alors que son regard capta une lueur vert pâle qui disparut aussitôt. Maintenant qu’elle y repensait, ce type était l’archétype d’un drogué. Venait-elle de voir une vente de drogue, en plein milieu d’une salle de sport universitaire ? Hiro était donc vraiment une dealeuse… Akane déglutit, tentant de savoir si elle devait fuir tout de suite ou lui accorder le bénéfice du doute. Son esprit profondément stupide lui accorda le bénéfice du doute. Après tout, elle n’avait rien vu de convaincant, juste un éclat et une situation un peu louche. Et pourtant, une petite voix persistait à lui dire de faire attention.

Quand la japonaise, dealeuse, et probablement serial killeuse revint, un énième silence s’installa. Akane cherchait une manière discrète d’en savoir plus, pour définitivement mettre un terme à toutes ces hésitations.

« Ce n'est pas juste, je t'ai révélé une partie de ma vie mais moi je ne sais rien de toi ... »

Bon, niveau discrétion elle pouvait repasser, mais au moins les dés étaient jetés… Mon dieu, elle allait finir dans une poubelle en cinq morceaux, toute sa vie défilait déjà devant ses yeux, tous ses regrets, tous ses souvenirs. Pourquoi avait-elle posé cette question ? La curiosité était un vilain défaut, un très vilain ... Mais contre toute attente, Hiro n’afficha aucune mine surprise ou énervée, ni même méfiante. Elle était comme avant, comme si rien de tout ça n’était arrivé, comme si personne ne les avait interrompu. Elle l’invita même à poser des questions plus précises sur ce qu’elle voulait savoir de sa vie.

«  Eh bien pour commencer, d'où viens-tu ? Je veux dire, avant ton arrivée ici ... Je ne demande pas un historique complet et détaillé de ta vie, juste savoir pourquoi tu aimes tant le sport. Et puis, comment se fait-il que tu sois sur le campus si les études ne t’intéressent pas ? ... Tu es un mystère Hiro ... Je croyais avoir saisi un peu ta personnalité ce matin ; froide, distante et dragueuse, bien que ça n'ait pas réellement de sens pour moi de draguer une autre fille. En fait, draguer dans sa globalité ne fait pas énormément de sens pour moi ! Mais je pense m'être trompée sur ton compte ... ou alors je l'espère … »

Encore un silence. Décidément, c’était un défilé d’ange qui entrecoupait cette étrange conversation. Finalement, Hiro le brisa avec son calme habituel, le regard au plafond.

« C’est un peu brouillon tout ça mais je pense que j’ai saisi l’idée. Mais … ce que tu me demandes me pose problème. Vois-tu, si je te raconte ma vie, je ne serais plus mystérieuse.

- Je t'ai dit dans quel lycée j'étudiais, reprit Akane, alors tu peux me parler de ceux que tu as fréquenté, avant de quitter le système scolaire. Donnant-donnant, si je te confie une chose de mon passé, alors tu en feras autant ? »

Hiro plongea son regard dans celui d’Akane, pendant une seconde la jeune fille s’attendit à un bon gros “non”, voir à un rire moqueur. C’est vrai que sa proposition avait quelque chose de drôle, avec des allures d’un pacte enfantin de collégienne, d’un plagiat d’”action ou vérité”, et pourtant un petit sourire fendit le visage de son interlocutrice.

« Ca marche. J'ai étudié dans deux lycées. J'ai fait mes études au Japon dans des écoles privées jusqu'à la fin du lycée, puis j'ai été renvoyé de l'établissement et mes parents m'ont envoyé aux Etats-Unis. A Los angeles, dans un lycée privé catholique, j'ai vaguement essayé de terminer ma dernière année mais j'ai finalement quitté le lycée quelques semaines plus tard et par la même occasion la maison où j'étais. »

Pendant qu’Hiro racontait son histoire, Akane l'écoutait, silencieuse, concentrée sur chacun de ses mots. Elle semblait avoir pas mal voyagé, Japon, Los Angeles puis ici, elle venait de l’autre bout du monde. L'espace d'un instant, Akane ressentit de la jalousie, elle qui n'avait jamais dépassé sa pauvre petite région. Et en même temps, tous ces voyages charriaient avec la déscolarisation qu’elle avait subit, au point de partir de chez elle… Pour tomber dans la drogue ? Elle aurait volontiers demandé plus de détails sur les raisons de tout ça, mais Hiro ne semblait pas vouloir en parler. En fait, toutes ces révélations ne faisaient qu’épaissir le mystère qu’elle représentait aux yeux d’Akane.

« Oh au fait je ne me suis présentée qu’à moitié ce matin … Je m’appelle Akane Ayuzawa, et toi ? »

Là c’était bizarre, tout le corps de cette fille semblait supplier de ne pas répondre à cette question pourtant si banale. Un soupire infini sortit de sa bouche dans une immense lassitude, avant de finalement répondre :

« Connerie de pari … Hiromushi Honjô. »

Akane répéta doucement le nom de la japonaise, tentant de se rappeler où elle l’avait déjà entendu, ou bien elle l’avait lu ? Oui c’était ça, elle l’avait lu quelque part et c’était sur un magazine qui était posé sur la petite table du salon de sa mère. Un Cosmopolitan ou quelque chose dans ce genre, elle revoyait parfaitement le contexte, alors qu’elle posait son sac en rentrant de cours, contre le canapé, avant de s’affaler devant la télé.

« Honjô ? Honjô ... comme dans Mizuki Honjô ? Le mannequin dont le mari est à la tête de la sixième fortune du Japon ? C’est une blague ! Des gosses de riches j’en ai croisé quelques uns lors de rencontres entre lycées et …»

Ses poings se serrèrent de rage en repensant à divers types exécrables qu’elle avait eu le malheur de croiser, à leur attitude suffisante quand ils croisaient des élèves d’un lycée moins réputé que le leur. Et Hiro venait du même milieu. Plus que le fait qu'elle ait changé d'écoles si souvent, c'était l'origine d'Hiro qui choqua Akane. Comment, en grandissant dans ce milieu, pouvait-on finir à la rue ? Pourquoi tous ces gosses de riches éprouvent-ils le besoin de s'extirper de leur cage dorée, se demanda-t-elle. Reprenant ses esprits, elle reporta son attention sur Hiro. Celle-ci fixait le plafond comme si une réponse s'y trouvait, sans paraître vexé ou agacé de ce qu’Akane venait de dire. Quoi que, elle n’avait rien dit de particulier, il n’y avait que son attitude pour trahir ses émotions. Bizarrement, cette découverte la touchait plus que les rumeurs de drogue et de prostitution qui pesaient sur Hiro.

« Tu as vécu dans la rue, c'est inattendu vu ton milieu d'origine ... Tu vois quand je te disais que tu resterais toujours un mystère, malgré tout ce que tu viens de me dire, le mystère est encore entier. Pourquoi la petite fille de la famille Honjô a-t-elle fini dans la rue ? Enfin ... c'est un mystère qu'il faudra que je résolve avec le temps. Pour l'instant, je suppose que c'est à moi de parler. »

 

Sans même vérifier si Hiro l'écoutait ou la regardait, elle commença à raconter tout ce qu’elle avait sur le coeur.

« Comme tu peux t'en douter à ma réaction ou même en regardant tout simplement, je n'ai pas grandi dans le luxe, ma mère m’a élevée seule, mais ça c'est une autre partie de la vie d'Akane. Et donc, comme je te l'avais déjà dit, j'ai intégré un lycée pourri car c'est là-bas que les frais d'inscription étaient les plus bas et que c’était le plus proche de chez moi. Il fallait que je travaille pour aider ma mère, et les jobs que peut exercer une étudiante sur son temps libre sont assez restreints. J'ai donc trouvé un travail dans un café du quartier voisin. C’était plutôt crevant mais je tenais le coup, tout aurait été parfait s’il n’y avait pas eu ces types … »

Akane sourit en repensant à ses premiers jours de travail.

« Au début, c'était très difficile pour moi, la clientèle était essentiellement masculine, j’ai pas vraiment connu mon père alors là c’était un monde étrange pour moi. Des gars pas très fins, d’autres plus sympathiques, on avait nos habitués dont certains qui prenaient un peu trop leurs aises. C’était pas le meilleur job du monde mais ça mettait du beurre dans les épinards. Pourtant, je n'avais jamais dit à mes amies du lycée où je travaillais. Va savoir pourquoi, j'avais honte de ce travail. Sûrement parce qu’au lycée j'étais Akane la guerrière, le tyran des garçons et la justicière des filles, alors là, Akane la gentille serveuse ... Et voilà qu’un soir, qui débarque ? Un des abrutis de ce lycée soi-disant supérieur, aux frais d’inscription impayable. Il semblait on ne peut plus content de me voir galérer pour aider ma mère à payer ses factures, et cet espèce de … Sa proposition …  »

Sans qu'elle s'en aperçoive, des larmes avaient commencé à rouler sur ses joues. Elle se souvenait malheureusement trop bien du comportement de ce type qui pensait qu’une fille comme elle, qui ne roulait pas sur l’or, pouvait donc s’acheter. Bien sûr, Akane étant Akane, la suite n’avait pas été jolie à voir, surtout pour lui, mais elle s’était ensuite retrouvée sans boulot. Hiro essuya les larmes d'Akane avec le pouce, elle se permit de laisser sa main sur sa joue. Dans son regard il n’y avait qu’une grande tristesse, sans le moindre jugement. La guerrière devait apprendre à accepter les gestes de réconfort, d'amitié, elle qui s'était toujours coupée de tout intimité, même avec ses amis les plus proches. Elle posa ensuite sa main sur celle d'Hiro et reprit la parole, apaisée.

« Tu dois trouver cette histoire nulle, tellement clichée ... La lutte pour la survie, la lutte des classes ... On dirait l'histoire d'un mauvais roman ! Sauf qu'il n'y avait pas de gentil prince pour m'aider dans les moments difficiles ! Enfin ... je me suis dit qu’ici, ce serait l’occasion de recommencer à zéro, alors je devrais commencer par arrêter de me lamenter !  »

Akane garda la main d'Hiro dans la sienne et la posa sur ses jambes, la serrant entre ses deux mains. Elle s'approcha alors d'Hiro et avant de murmurer un simple "merci" elle déposa un baiser sur le front d'Hiro. Finalement, psychopathe dealeuse ou pas, elle avait été une oreille attentive pendant ces longues minutes qui avaient du être éprouvante tant la vie d’Akane lui paraissait inintéressante.

 

Hiro suivit des yeux sa main qui, enfermé entre celles d'Akane, se déplaçait vers ses cuisses. La japonaise essaya de bloquer de son esprit toutes idées déplacées mais c'était  bien trop difficile pour quelqu’un comme elle.  Mais Akane était en train de lui ouvrir son coeur, de lui confier ses peines et ses tourments. Elle n'avait donc pas le droit de profiter de la situation, même si l'envie était tentante. Et puis, Akane était loin d'être moche, elle était d'une beauté discrète, épuré, le genre qu’on … non ! N’y pense même pas.

Quand Akane lui avait baisé le front, Hiro s’était sentie défaillir, rien de pire ne pouvait arriver pour l'aider à penser à autre chose. Elle avait vraiment un problème pour penser à ça dans une situation pareille. Qui plus est, si elle profitait de la situation maintenant, alors rien ne la différencierait du garçon dont elle venait de parler et qui, malgré tout son discours guerrier, la touchait encore assez pour la faire pleurer. Il fallait qu’elle dise quelque chose d’intelligent, de mature, à défaut d’avoir pu sortir la moindre syllabe depuis le début de cette confession.

« Tu as pu lui casser la gueule j’espère.

- Oui et non. Il a essayé de me gifler, je l'ai mit par terre et on a été invités à sortir et à ne plus revenir. J'étais trop énervée de voir la situation se retourner contre moi pour faire quoi que ce soit, alors je suis rentrée. Je ne l'ai jamais revu mais il a vraiment réussi à mettre la pagaille dans ma vie avec cette connerie.

- C’est impressionnant et en même temps un peu triste. Tu veux me montrer ce que ça donne ? J’ai toujours pris l’aïkido pour un sport de gala un peu inutile. »

 

Akane hocha la tête, suivant Hiro qui s’était déjà levée du banc. Elle avait suffisamment observé les lieux pour connaître les endroits où elle pouvait se battre sans se manger du parquet. Dans un combat réel et sérieux, n’importe quel terrain faisait l’affaire. Il était même conseiller de trouver un coin avec des trottoirs, des bancs ou des blocs de ciment. Mais ça n’avait rien de sérieux, le but n’était pas de se blesser, et dans ces conditions, le petit carré de tapis au fond de la salle serait parfait. Plus que de simples paroles vaines, Hiro avait une idée. Stupide, dangereuse et complètement immature, très loin de ce qu'elle envisageait de faire mais beaucoup plus proche de son réel caractère.

« Habituellement mon arme c’est une batte de baseball, mais je vais me contenter de mes poings, ça te laisse l’avantage. Vas-y.  

- Une batte de baseball ? Sérieusement ?

- Euuhmm, oui, bon, c’est pas important, ramènes toi.

- Eh bien ... C'est à dire que je ne peux pas réellement t'attaquer, l'aïkido visant plutôt à contre attaquer voire couper court à l'attaque de l'adversaire, tout simplement ... Donc, soit tu m'attaques et je te montre que je peux te ridiculiser en quelques secondes soit tu ne m'attaques pas et à ce moment là, tu te ridiculises toute seule ... Alors Hiro, que choisis-tu ? »

Akane lança à Hiro un sourire taquin, affichant un air décontracté. Si Hiro n'attaquait pas elle devrait bien lancer l'offensive, elle s'était trop vantée pour reculer, ce combat, aussi idiot soit il, devait avoir lieu. Akane secoua la tête et fit un pas vers Hiro qui n’avait toujours pas bougé d’un pouce. Elle opta pour un coup de poing, ne sachant pas réellement comment s’y prendre. Sans surprise, Hiro l’évita, presque comme on évite machinalement quelqu’un qui arrive en sens inverse dans une rue bondée. Pire encore, elle réussie à glisser son bras contre Akane pour l’attraper et l'entraîner au sol, avec une fermeté qui ne permettait pas de l’en empêcher.

« En effet, c’était lamentable. Mais bon, je te laisse ta chance dans ton domaine. »

Hiro tendit la main à Akane pour l’aider à se relever. Elle lui accorda une seconde de répit avant de s’élancer pour faire l’exact coup de poings que la jeune étudiante avait tenté de faire, mais avec une vitesse et une force tout à fait différente. Malgré tout, les années d'entraînement avaient payées et Akane pu dévier ce coup en attrapant le poignet pour le tordre, se servant de la force agressive de l’adversaire pour le faire tomber, essence même de cet art martial. Mais Hiro semblait avoir tout prévu, elle se servit de son second bras pour bloquer Akane et se libérer du même coup. Egalité.

« Le problème de ce genre de sport, selon moi, c’est quand tu tombes sur quelqu’un qui connaît les techniques mais qui, en plus, est plus fort et plus rapide que toi. Tous ces trucs de gala ne vaudront jamais un coup de boule. Et puis … c’est bien joli la défense mais dans la vie il faut aussi savoir frapper.

- Je n’en suis pas sûre. Si tu es intelligent tu n’as pas besoin de frapper les gens, c’est juste pour ne pas être esclave des brutes.

- Oh … et donc si tu es face à quelqu’un de tenace - comme moi - tu vas juste le mettre par terre, inlassablement, jusqu’à ce que l’un de vous tombe dans les pommes ?

- Non. Je peux l’immobiliser aussi.

- Ah, au temps pour moi. Ca veut dire que si je t’agresse au milieu de la nuit tu me maintiens au sol, et ensuite ? C’est au premier qui s’endort ? Et si c’est toi, alors je peux me venger sans que tu puisses te défendre parce que tu es épuisée. Cool.

- Tu es en train d’essayer de me prouver que le sport qui m’a sauvé la mise au lycée est nul ?

- Non, non. Juste qu’un agresseur maîtrisé ça n’existe pas, il faut le mettre KO. Et pour ça, il faut quelques petits coups bien placés. Alors viens me montrer ce que t’as dans le ventre, je vais pas t’humilier, promis. »

Akane soupira. Ca lui faisait mal au coeur de l’admettre mais elle avait raison, la vie allait peut-être lui demander de faire preuve de ce genre de violence, même pour se défendre. Elle hésita malgré tout un long moment, gardant en mémoire la facilité avec laquelle sa première attaque s’était retournée contre elle. Et puis …

« Désolé, je peux pas. Je vais te faire mal ou me faire mal. On est pas équipé, même pour s’amuser.  »

Hiro jura, se prenant la tête entre les mains.

 

Quelques minutes plus tard, elles étaient dans la même position, mais avec des gants de boxe. La situation devenait de plus en plus bizarre pour l’étudiante qui était venue faire un peu de sport, mais ça semblait faire plaisir à sa partenaire. Akane prit son courage à deux mains et l’envoya sur son adversaire sous forme d’un coup de poing, pas beaucoup plus puissant que le premier mais qui fit mouche, à sa grande surprise. Bon, certes elle visait une cible en mousse qu’Hiro tenait dans sa main, mais quand même, Akane se sentait plus d’assurance après ce petit coup et les autres vinrent avec plus de facilité, ponctué par de petits expressions motivantes de la part de son coach improvisé. Jusqu’à ce qu’elle se décide à faire des phrases plus longues.

« Tu sais, ce mec dont tu me parlais tout à l’heure - non t’arrêtes pas, continue -, je suis sûre que j’ai plein de point commun avec lui. Je veux dire - plus fort -, je suis riche et, on va pas se mentir, mes parents ont beaucoup de pouvoir et j’en ai pas mal profité - plus fort j’ai dit - et j’ai même déjà demandé des services à une serveuse contre de l’argent. »

Instinctivement, Akane avait tapé beaucoup plus fort et aussi ailleurs, en fait, elle avait essayé de lui faire mal pour de vrai, mais elle avait échoué. Maintenant, elle était énervée pour de vrai. Malgré tout le respect qu’elle pouvait avoir pour Hiro, entaché de la peur de finir dans un fossé, l’idée qu’elle ai pu faire quelque chose d’aussi dégoûtant était impardonnable. Elle baissa les bras, reprenant son souffle. Enfin, c’était sans compter sur Hiro qui ne le voyait pas de cette oeil, jetant ces cibles sur le côté.

« Aller, essais pas de me faire croire que t’as pas envie de me frapper. J’ai eu tout ce que tu n’avais pas, des tonnes de jouet, de quoi manger à me faire exploser le bide tous les jours, j’ai voyagé à des endroits que tu ne verras jamais. Et au lieu de juste en profiter j’ai préféré user du pouvoir de l’argent pour avoir une emprise sur les pauvres comme toi. »

Ok, là elle l’avait cherché. Akane frappa de toutes ses forces dans le ventre d’Hiro qui n’essaya même pas de la contrer. C’était la première fois qu’elle la touchait vraiment, et elle eut l’impression de frapper contrer un mur. Dommage qu’elle ne se soit pas plié en deux, ça lui aurait fait plaisir.

« Aaah mais c’est tout ce dont t’es capable ? Plus fort j’ai dit ! Tu as perdu ton travail à cause de quelqu’un comme moi et c’est tout ce que ça te fait ? Il a détruit ta vie et je suis exactement pareil ! »

Akane recommença à frapper au milieu de la phrase, non pas parce qu’elle semblait le lui demander, juste parce qu’elle voulait la faire taire, qu’elle arrête de lui rappeler ça. Mais plus l’étudiante frappait, plus Hiro élevait le voix et plus elle se rapprochait. Puis sans prévenir, elle arrêta le geste en chemin et colla ses lèvres contre les siennes. Akane la repoussa dès la surprise passée, elle ne la voyait plus tant son comportement était le même que celui de Ryan, elle était folle de rage, incontrôlable. Sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, elle s’était jetée sur Hiro pour la marteler de toute la force de ces petits poings, jusqu’à la faire tomber. Là, accroupi au-dessus d’elle, Akane enleva ses gants, elle se sentit vainqueur, plus forte que tout ce qui pouvait lui arriver, et en même temps vidé par l’effort qu’elle venait de faire. Hiro aussi était essoufflée, mais un petit sourire fendait son visage.

« Comment tu te sens ?

- Je me sens … Je sais pas.

- Et quand tu penses à lui, tu te sens toujours aussi impuissante ?

- … Non. Je me sens … Tu as fait tout ça pour que je puisse me libérer de ce souvenir, n’est ce pas ? »

Hiro hocha simplement la tête, comme s’il s’agissait là d’une réponse tout à fait banale. Akane passa le bout de ses doigts sur une rougeur qui apparaissait sur la joue de la délinquante. Ca faisait cher payé pour permettre à une pauvre fille de passer ses nerfs, mais elle lui en était reconnaissante, même si une part d’elle se sentait vexée d’avoir été menée en bateau. L’étudiante soupira en souriant légèrement.

“J’ai quand même le droit d’être faible de temps en temps, n’est-ce pas ?” murmura-t-elle finalement, pour elle-même, sans se soucier de l’aspect étrange de ce qu’elle racontait. Tout comme elle ne fit pas cas de la manière dont son ancien agresseur la fit rouler sur le côté, pour inverser les positions, posant un bras de chaque côté de sa tête. Ses gestes étaient redevenus lents et calmes, dénués de la moindre violence.

« Tu as parfaitement le droit d'être faible et de te lamenter. Tu as le droit de pleurer aussi, ou je ne sais quoi. Rien de ce que tu feras ne me dérangera.

- Mais la grande question c'est, est-ce que je suis Akane la guerrière ou bien Akane la fillette pleurnicheuse … ? A force de retenir mes larmes, est-ce qu'elles n'ont pas disparu pour de bon ? Surement que non ... Mais quand même ... Je me demande. Toi, dit-elle en plaçant sa main sur le visage d'Hiro, tu es vraiment une guerrière. Ce n'est pas qu'une image que tu t'es forgée avec le temps, c'est un caractère, une façon de vivre, que tu as acquis par la force des choses …

- Je pense que tu te poses trop de question. »

 

Akane laissa retomber sa main sur le sol et tourna la tête sur le côté, regardant dans le vide, plongée dans une immense réflexion. Il lui semblait qu'elle n'avait fait que ça depuis son arrivée à l’université, réfléchir, se poser des questions. Elle se souleva légèrement, prenant appui sur ses coudes, son visage proche de celui d'Hiro. Elle plongea son regard dans le sien et tenta d'oublier toutes les questions qui embrumaient son esprit d'habitude si clair et lucide. Elle appréciait la compagnie d'Hiro, même si celle-ci paraissait brusque et distante. Elle n'était pas gênée par sa présence ou par ses gestes, même si les rougeurs qui apparaissaient de temps en temps sur ses joues laissaient penser le contraire. Après tout qu'y avait-il de bizarre à rougir d'un compliment ou d'un geste d'amitié, un geste d'affection ? Venant d'un homme, elle aurait pris peur face à leur position, comme cela avait été le cas par le passé. Une petite partie de son esprit lui hurlait de partir avant que cette fille à problèmes ne lui en attire. Et pourtant, Akane restait là. Elle pouvait sentir son souffle tout proche, si elle y avait prêté un peu plus d’attention, elle aurait sûrement entendu les battements de son cœur.

« Encore une fois, merci Hiro, pour ta compagnie, dit-elle avant de se lever un peu plus, assez pour embrasser le front de la jeune fille avant de se laisser glisser au sol à nouveau.  »

Maintenant Akane entendait vraiment le cœur d'Hiro battre, sûrement parce que le sien suivait le même rythme. Sans s'en rendre compte, Akane commença à jouer avec les cheveux d'Hiro qui tombaient sur le sol, les enroulant autour de ses doigts fins, les relâchant, recommençant à les enrouler, à la manière dont elle jouait d'habitude avec les ficelles de sa capuche. Elle aurait voulu parler mais aucun mot ne trouvait son chemin jusqu'à sa bouche. A vrai dire, aucun mot ne semblait se former dans le tréfonds de son esprit, subjugué par le noir des cheveux d'Hiro qu'elle fixait sans vraiment les voir. Elle revint subitement à elle, réalisant la proximité d'Hiro. La main qui jouait avec les longs cheveux noirs vint à nouveau se poser sur le visage de la jeune fille, dessinant ses traits le long de ses pommettes, s'attardant sur le contour de sa bouche.

« Hiro ... Tu viendras en cours avec moi ? Tu n’es pas obligée d’être inscrite après tout, c'est important que tu rattrapes ton retard et puis ... et puis ...Elle marqua une pause, cherchant ses mots, ceux qui sonneraient justes, ceux qui ne la ferait pas rougir, ou pas trop. Et puis j'ai envie que tu viennes ... je ne connais presque personne ici, et les filles que j’ai pu croiser en cours ... je ne leur ai presque pas parlé, pas comme je te parle à toi …  »

Rien ne semblait vouloir transparaître sur son visage de porcelaine, Hiro semblait juste plongé dans ses pensées, sans montrer la moindre gène à cette situation. Elle aurait tout à fait pu en profiter, prendre et jeter sans jamais reparler à Akane. Au lieu de ça, elle hocha la tête, acceptant d’aller en cours dès le lendemain.

 

Un immense claquement fit sursauter Hiro, qui se releva. Tout était noir autour d’elles. Ah oui, la salle fermait à 21h. Quelqu’un avait dû passer sans les voir et penser la salle vide. Voilà qui était plutôt embêtant. Akane se mit à gigoter, se redressant sur ses coudes pour scruter les alentours plongés dans la pénombre. Voilà qui était très embêtant même. Perdue dans ses pensées et dans cette situation intrigante, la jeune étudiante n’avait pas vu le temps passer. Akane se racla la gorge avant de reprendre la parole, rompant ainsi le silence qui s’était installé après la réponse d’Hiro.

« On devrait sûrement y aller, si tu veux bien me rendre l’usage de mes jambes … Rassure-moi, on pourra quand même sortir de là ? On peut appeler quelqu’un de la sécurité.  »

Et voilà, Akane sentait une légère panique l’envahir. Bien commencer une année cela ne se faisait pas en étant raccompagnée chez elle par la sécurité du campus après avoir été enfermée dans une salle de sport avec une fille qu’elle connaissait à peine. Allez du cran, on se lève et on quitte cet endroit. Une fois debout, la jeune fille n’eut d’autre choix que de suivre Hiro en se disant que celle-ci savait sûrement comment sortir d’un endroit fermé à clé. Elle était parfaitement consciente que ce qu’elle pensait de la jeune asiatique était négatif, elle la percevait comme une âme soumise à tous les vices, pourtant, et contre toute logique, elle se sentait en sécurité près d’elle.

 

La porte avait été verrouillée et, quoi de plus normal, compte-tenu de l’heure avancée, mais cela ne semblait pas poser de problème à Hiro qui se contenta de crocheter la serrure avec une facilité déconcertante. Pire que tout, ça ne surpris même pas Akane, qui se sentait seulement soulagé d’être enfin libre.

«  Merci … Je ne te demanderais pas comment tu as appris à crocheter une serrure, je pense que je ne veux pas savoir … une pièce de plus au puzzle Hiro ! Hum donc, je crois qu’il est temps pour moi de rentrer, cette journée a été mouvementée. A demain alors …   »

Akane adressa un sourire à Hiro avant de tourner les talons, direction son dortoir qui se trouvait droit devant elle … Peut être. Plutôt que de se perdre sur le campus à la nuit tombée, l’étudiante décida de demander une dernière fois de l’aide à Hiro, au moins pour la journée. Il suffisait juste de lui indiquer le chemin à suivre pour retrouver le dortoir B, ce que la mystérieuse dealeuse, crocheteuse de serrures et probablement serial-killeuse fit sans hésiter. Cette fois, Akane pouvait rentrer, elle reprit son chemin dans la direction que lui avait indiquée Hiro, ne réfléchissant pas une seule fois à la possibilité qu’elle lui ait donné une mauvaise direction, se retournant juste un instant pour la saluer une dernière fois avant d'accélérer le pas. Ce n’est qu’une fois chez elle, enfermée dans sa petite chambre, qu’Akane réalisa l’absurdité de toute cette soirée. Qu’est-ce qui lui a pris ? Qu’est-ce qu’elle allait faire si Hiro se pointait en cours le lendemain ? Toute la magie de l’instant disparaissait rapidement, comme un brouillard qui se lève. Elle avait invité la fille la plus étrange du monde entier à venir dans un amphi plein d’inconnus qui allaient traversés les 4 prochaines années de sa vie, alors que les simples rumeurs qui courraient sur elle en faisait fuir plus d’un. Et puis, qu’est-ce qu’une fille hors du système scolaire allait bien pouvoir faire là-bas ? Il faudrait attendre le lendemain pour le savoir, mais avant ça, il faudrait à la jeune étudiante une bonne nuit de sommeil pour se remettre de cette première journée. Peut-être que tout deviendrait plus clair après, le lendemain matin.

 

Douchée, fin prête à dormir, Akane jeta un coup d’oeil aux photos sur son mur, juste au dessus de son bureau. Elle haussa finalement les épaules en se disant que ses amies du lycée avaient probablement eu une journée du même genre, que c’était ça l’université, puis elle se laissa tomber sur son lit pour s’y endormir rapidement.



***************



Hiro salua Akane d’un signe de main, la regardant partir dans la nuit. Il n’était pourtant pas trop tard, les risques de se faire agresser à cette heure-ci étaient quasi inexistant. Et puis elle savait se défendre. Pourquoi elle s’inquiétait en fait ? La délinquante n’en avait rien à faire de cette fille, c’était juste une rencontre comme ça, le genre qui traverse la vie pour quelques jours avant de disparaître pour toujours.

- Hey pas mal le morceau. C’est ta prochaine cible ?

Cette voix étrangère la fit sursauter, mais elle ne mit qu’un instant à comprendre à qui elle appartenait. Diego, l’abruti fini qui était venu la déranger en plein jour, dans un lieu public, alors qu’elle était accompagnée. Ce gars était l’archétype du bon et du mauvais dealer en même temps, à la fois né avec un sens des affaires impressionnant, et avec un manque de professionnalisme évident, probablement dû à sa jeunesse. Hiro ne savait pas vraiment quoi penser de lui, son caractère imprévisible et impulsif la m'était mal à l’aise, mais il était agréable et sympathique, le genre qu’on arrive pas à détester.

- Non, j’y ai pensé, au début, mais elle n’est pas aussi stupide qu’elle en a l’air. Si je tente quelque chose je vais juste me faire casser la gueule. Enfin, ça te regarde pas, je t’ai payé alors qu’est ce que tu veux maintenant ?

- Ah, toujours aussi agressive à ce que je vois. Mais comme tu es une de mes meilleurs clientes, je te pardonne. D’ailleurs, j’t’invite à une petite soirée ce soir, pour fêter l’arrivée d’une came de super qualité.

Hiro haussa les épaules, l’idée était tentante mais elle avait un rendez vous tôt le lendemain, avec une petite brunette qui venait de partir. Et aussi … ça.

- Je n’aime pas trop ce genre de réunion. La crème de la crème présente, des tas de clients louches, des policiers infiltrés.

- Haha, Je ne sais pas à quoi on t’a habitué, mais je suis pas assez gros pour ça. Juste les clients de confiance, mes revendeurs les plus fidèles et de quoi s’amuser.

Toujours pas de réaction de la part de la délinquante japonaise. Diego retourna à la charge avec un petit sourire taquin qui inquiéta Hiro plus qu’autre chose. Il s’approcha, posant sur bras sur les épaules de sa cliente médusée. S’il n’y avait pas ce pistolet à sa ceinture, il se serait probablement prit un pain.

- Tu peux pas me le faire à moi. Je vois très bien ta main qui tremblote depuis tout à l’heure, tu le ressens, hein ? Le manque. Ce chant de sirène qui t’appelle, cette veine qui pulse doucement dans ton bras et qui attend l’aiguille qui va la perforer, la fraîche odeur du soir qui rentre dans tes narines, alors qu’elles attendent juste que tu leur donnes un peu de poudre blanche. N’essaie pas de me faire croire que tu n’es pas intéressée. Il y aura aussi de l’alcool, des filles, le paradis sur Terre.

Diego s’éloigna finalement, laissant la japonaise tremblante dans l’obscurité, la tête baissée. Sa volonté tint quelques secondes de plus avant qu’elle ne suive le Tentateur dans la nuit.

 

22 novembre 2014

Lecture de textes Musée Saint Augustin

Le titre est foutrement impersonnel, je vous en voudrais pas de pas trop vous pencher sur le texte. Nan, je déconne, je maudis votre famille sur 13 générations.

Donc, trève de mauvaises blagues. Je viens de rentrer d'une lecture qui a été organisée pour le festival du théâtre universitaire de Toulouse. En gros, ils ont commandé des textes à un atelier d'écriture de l'université Jean Jaurès (Mirail) qu'ils ont mis en scène au musée Saint Augustin. Et c'était ... Waou ! Evidemment, je n'ai rien filmé, parce que mon appareil photo était dans mon sac, que j'ai dû laisser à l'entrer. Voilà, gros boulet.

J'avais écrit un texte pour la forme. A la base je n'avais rien à faire là mais un concours de circonstances a fait que... J'y étais. Il a été lu en deuxième, c'est à dire au tout début. Je vous laisse, à défaut de le voir, le lire. Et sur cette petite note, je vais me coucher.

 

Emili

 

La légende de l'Abbaye - 22 nov 2014

 

Laissez-moi vous raconter une des légendes de ce lieu ; l'histoire du Grand Trésor de l'Abbaye. Tout commence en 1753, dans une nuit noire du mois de Novembre...

 

Un homme court dans les rues, aussi vite que ses jambes peuvent le porter, il bondit tel un faon apeuré, essaie de se fondre dans la masse comme une ombre. Son souffle est rauque, difficile à trouver, pourtant, malgré une fatigue certaine, il ne peut se résoudre à l'arrêt ; derrière lui, il entend les cris de la vengeance, l'annonce de sa mort. Alors, il continue inlassablement sa course, son endurance est à l'image de sa volonté de vivre : sans limite.

 

Inconsciemment, sa route le mena jusqu'au monastère, il entre dans la maison des moines et rompt le silence religieux de ses supplications larmoyantes : « Seigneur, s'il-vous-plaît, entendez l'appel à l'aide d'un pauvre orphelin tiraillé par la faim, dont la pauvreté a rendu la main agile. Pourquoi a-t-il fallu que le destin fasse tomber devant moi ce coffre empli de bijoux de la calèche qui le transportait ? Suis-je vraiment responsable d'un acte que j'ai à peine eu le temps de penser ? Moi qui ne désire qu'un plat chaud et un toit, ne les laisse pas me trouver et mettre fin à mes jours ! »

Mais aucune réponse, aussi signe, ne vint rassurer le jeune homme qui sentait plus que jamais la punition mortelle s'approcher. Plein de remords, il glisse le butin dans la gueule d'une gargouille, si profondément que la main de l'homme ne pouvait l'attraper de son œil le voir. Pour récupérer l'or, il aurait fallu détruire un gardien au hasard, au risque de devoir tous les éventrer.

La comtesse, dont la vénalité n'était plus à prouver, essaya de récupérer son bien. D'un coup de marteau, elle s'attaqua à la quatrième gargouille et, avant même qu'elle ait pu frapper une seconde fois, la foudre fendit le ciel et s'abattit sur elle, la réduisant en cendre. Il en ira de même pour tous les profanateurs jusqu'à ce jour car, encore maintenant, le trésor se cache ici même, dans l'une d'elle. Quant au voleur, n'ayant jamais pu rendre son larcin, il hante encore ses lieux. La nuit tombée, si vous tendez l'oreille, vous pourrez peut-être l'entendre pleurer et, juste à côté, les gargouilles se tordre de rire à l'écoute de leur frère étouffant de l'or qui lui coince la gorge.  

21 novembre 2014

Eve Kelim chap 1

Déjà vendredi ?! Waou, ça va à une vitesse... Bon, en vrai, on est pas vendredi, le message est programmé pour ne se publier que vendredi, par contre... Qui s'en fout ? Tout le monde ? C'est bien ce que je pensais.

 

Donc, déjà vendredi. Voici, comme convenu, le premier chapitre d'une nouvelle histoire. J'ai beau aimer les débuts, j'ai toujours été mauvaise pour débuter une histoire. Le pire c'est la première phrase, une des plus importante pour le lecteur et, nécessairement, une des plus terrifiante pour l'auteur.

Tout ça pour dire que je ne suis pas satisfaite de ces quelques pages, je trouve qu'on sent mon impatience à parler d'autre chose, mais il fallait vraiment que je passe par ce passage pour amener la suite. J'espère que vous apprecirez quand même :)

 

Bon week end !

 

Emili

 


 

 

CHAPITRE 1

Le jour le plus long

 

 

Hella sauta par dessus une racine pour ne pas perdre son élan, au détriment de son visage qui s’écorcha contre une branche. Courir en forêt n'était pas un exercice dans lequel elle excellait, particulièrement quand elle ne connaissait pas bien les lieux, mais la faim justifiait les moyens et, dans le cas présent, les bêlements du mouton qui était tombé dans la rivière.

Entre les troncs d'arbres centenaires, la jeune fille pouvait apercevoir le pelage blanc de l'animal glisser dans l'eau, s'éloignant de plus en plus vite. Son souffle avait beau être court et ses côtes douloureuses, elle accéléra un peu plus pour rejoindre la plage et s'offrir un sprint magistrale jusqu'au ponton d'où elle sauta, attrapant avec un timing parfait le mouton en détresse. A cet acte héroïque s'écrasa la dure réalité de la vie ; Hella ne savait pas nager. Autant dire que les coups de patte de l'animal ne l'aidait en rien mais elle n'osait pas pour autant le lâcher pour sauver sa propre vie. De quoi aurait-elle l'air sinon ? Le courant avait beau les emporter, l'eau infiltrer ses narines et ses jambes refusaient de suivre ses ordres mais elle ne lâcha pas prise.

Son entêtement aurait bien pu lui coûter la vie, s'il n'y avait eu âme charitable pour la secourir. Hella attrapa la corde qu'elle vit flotter à ses côtés comme si sa vie en dépendait. Ce qui était le cas. En quelques secondes ils étaient sur la berge, saufs. La jeune fille faillit embrasser le sol de bonheur, avant que deux bras solides ne la saisissent pour la secouer dans tous les sens. Hella recracha ce qui lui sembla être un océan entier avant de recouvrir l'usage de ses sens.

 

Elle reconnut alors l'homme à qui appartenaient les mains qui enlevaient les mèches mouillées de son visage. Isaac. Sa bouche bougeait, mais Hella n'était pas en mesure de comprendre ce qu'il disait tant le sang pulsait contre ses tempes. Il semblait donner un ordre à quelqu'un d'autre … A son père un peu plus loin et à d'autres hommes à l'allure indéfinie. Hella s'en désintéressa et observa le mouton qui broutait nonchalament un peu plus loin, déjà remit de ce qui venait de lui arriver. Le père d'Isaac attrapa l'animal par le pelage pour l'emmener dans la forêt, suivit par les autres, à l'exception de son fils qui n'avait pas bougé. Hella se rendit compte qu'elle entendait encore les bêlements du mouton contre son oreille, ainsi que les remous de la rivière. Mais ces bruits se faisaient de plus en plus lointains, comme un écho qui finit par se perdre dans le vide.

« Qu'est-ce qui t'a prit de sauter si tu ne savais pas nager ? S'enquit Isaac.

- Je ne le savais pas, lâcha Hella d'un air lointain.

- Pardon ?

- Que je ne savais pas nager. Je n'y ai même pas pensé avant d'être dans l'eau. Pourquoi sont-ils partis sans nous ?

- Je leur ai dit que tu avais besoin de plus de temps pour t'en remettre et que je m'occuperais de toi en attendant. »

 

Le choc passé, le seul souhait d'Hella était de s'éloigner de cette satanée rivière. Les deux amis trouvèrent un coin tranquille pour sécher, juste à côté d'un mûrier sauvage. Isaac n'était pas du genre bavard mais, cette fois-ci, il fit tous les efforts du monde pour réussir à distraire la jeune fille, cherchant à rajouter de l'épique dans les histoires les plus banales, comme la fois où la barrière de la bergerie s'était brisée dans la nuit et qu'ils s'étaient tous retrouvés à chercher brebis et poules dès l'aurore. Ou bien le jour où, enfant, il avait fait tombé un énorme marteau sur le pied de son père qui était devenu fou de rage.

Un long silence se fit après leurs éclats de rire, Isaac à court d'histoire. Le coucher de soleil recouvrait la vallée d'une lumière jaune-orangée qui sublimait la forêt et le village qu'elle entourait, mais Hella n'arrivait pas à se contenter ce qu'elle avait sous les yeux, étirant son esprit par delà les montagnes, vers l'inconnu. Son ami sembla capter ses pensées, la mine soudainement beaucoup plus sombre.

« Tu vas t'en aller, c'est ça ?

- Pardon ?

- C'est pour ça que tu fais tout ça, n'est-ce pas ? Courir après les moutons des autres à tes risques et périls, rendre service à tout le monde, même pour les tâches les plus ingrates. Tu travailles plus que les autres, tu ne te plains jamais, tu ne demandes rien … C'est parce que tu penses que tu as une dette à régler.

- Non. Je n'aime pas être inactive, c'est tout. J'ai vraiment besoin de me dépenser le plus possible. »

Les grosses mains de l'apprenti forgeron caressaient les brins d'herbe avec une infinie tendresse, laissant les insectes traverser sa main sans en déranger un seul. Hella voyait que cette réponse ne lui suffisait pas. Elle poussa un long soupire avant de reprendre la parole.

« Quand je suis arrivée, il y a un an, j'étais perdue et je n'avais rien. Vous m'avez accueillie, logée et nourrie sans rien savoir de moi. Au début j'étais reconnaissante, je voulais me racheter auprès de vous. Mais maintenant, je me sens chez moi ici alors je n'ai plus rien à prouver. C'est peut être l'influence d'Alyona et de Daniel mais ça me fait sincèrement plaisir d'aider les autres, je ne m'y sens pas obligée.

- Alors pourquoi tu veux partir ? »

Hella se figea dans son geste, une mûre à quelques centimètres de sa bouche ouverte. Isaac était énormément de chose, mais pas insistant et boudeur. La question devait beaucoup le perturber pour qu'il agisse de la sorte, qui sait depuis combien de temps il voulait poser la question ? Aussi, Hella décida de ne pas s'énerver, poussant un deuxième soupire, elle enfourna le fruit dans la bouche d'Isaac, l'invitant d'un ton las à arrêter de dire des bêtises. Mais, à peine la mûre avalée, l'apprenti forgeron revint à la charge par un autre viais, le visage crispé par le sérieux de son humeur :

« Je t'aime. »

Encore une fois, elle se retrouva bloqué par la surprise. Cette après-midi aux apparences calmes et tranquilles commençait à prendre une tournure assez désagréable. Elle réalisa que sa noyade avait dû être un élément déclencheur chez son ami.

«  … Je sais. Tout le monde le sait, lâcha-elle sans le regarder.

- Si … Si tu m'épouses tu ne seras jamais dans le besoin, je travaillerais dur pour te rendre heureuse et … et tu garderas ta liberté, tu pourras faire ce que tu veux, parler à qui tu veux... Pas forcément maintenant, on est encore jeune mais quand je pourrais reprendre la forge de mon père … »

Le seul moyen d'arrêter son discours bredouillant et confus aurait été de lui hurler dessus ou de le gifler, tant il ignorait les demande trop douce de la jeune fille. Hella choisit finalement de déposer un baiser sur ses lèvres pour les empêcher de bouger, se surprenant à apprécier la chaleur de ce contact qui lui semblait étonnement familier. Quand elle s'écarta, Isaac était aussi rouge qu'elle-même devait l'être. Cette fois-ci, elle ne le lâcha pas des yeux.

« C'est ça que je veux. Tout comme je souhaite rester ici pour toujours. Mais je sais qu'un jour j'aurais besoin de savoir qui je suis. Ne m'interromps pas, s'il te plait. Comment-est ce que je pourrais t'épouser avec un tel manque en moi ? Et quand je serais mère, je ne serais pas quelles seront les origines de mes propres enfants, je ne pourrais jamais leur raconter d'où ils viennent. Je sais que la personne que j'ai été ne fait pas forcément celle que je suis aujourd'hui, je ne manque de rien ici. Mais … J'ai cette impression que quelqu'un m'attend dehors et que c'est très important. Je ne sais pas d'où il vient mais je sais que je ne pourrais pas vivre éternellement avec ce sentiment, alors, je ne peux pas m'engager en sachant qu'un jour je vais devoir partir. Tu comprends ?

- Oui je comprends. Tout le monde le comprend. »

Le parallélisme fit sourire Hella qui reprit la contemplation du coucher de soleil, bien contente que cette discussion ne se soit pas terminer dans une crise de larme, même si Isaac, dans son imense compréhension, ne semblait pas prêt à sourire encore.

Au loin, vers les montagnes, un nuage de fumée venait de s'élever. Les arbres et la distance ne permettaient pas d'en voir l'origine. Tout ce dont Hella était sûre, c'est que ce n'était pas un incendie. D'une tape dans les côtes, elle réveilla un Isaac pensif pour lui montrer l'irrégularité du paysage. Il haussa les épaules d'un air maussade.

« C'est les soldats du roi je suppose, pour venir chercher telle ou telle taxe. De toute façon le soleil se couche, ils n'arriveront pas avant demain matin alors on verra bien d'ici là. Viens, tes parents vont s'inquiéter. »

Après s'être levé, Isaac tendit la main à son ami, en bon gentleman. C'est dans un silence religieux qu'ils rentrèrent au village.

 

La nuit venait tout juste de tomber quand ils s'arrêtèrent devant la maison où vivait Hella, le village entier semblait dormir avec ses rues désertes et silencieuses. Mais la jeune fille ne voulait pas rentrer maintenant et laisser son ami dans cet état. Elle lui attrapa la main pour l'obliger à rester alors qu'il commençait à faire volte face.

« Je ne t'ai pas répondu comme je l'aurais voulu tout à l'heure, j'étais un peu surprise que tu me sortes ça comme ça mais je tenais à te dire que moi aussi, je t' … »

Isaac plaqua sa main contre la bouche d'Hella pour la faire taire, dans un acte désespéré qui la surprit par sa violence. Il ne la libéra que quand il s'assura qu'elle n'allait pas reprendre sa phrase où elle l'avait arrêté.

«  Tu ne me dois aucune réponse, je ne t'ai même rien demandé. Je me doute que tu ne comptes pas partir maintenant et je m'en réjouis, parce que le monde est dangereux pour une jeune fille de 16 ans. Mais je ne veux pas d'une petite amourette comme les gamins qui se contentent de se tenir la main sans penser au futur. Je veux t'épouser sans devenir le type qui attend sa promise la moitié de sa vie sans être tout à fait certain qu'elle va revenir. Pourtant, si tu me le demandes, je pourrais le faire. C'est ce que tu veux ?»

Hella voulait dire oui mais sa tête répondit par la négative. Peut-être parce qu'elle ne l'aimait pas assez ou, au contraire, parce qu'elle l'aimait trop. Isaac resta fort, ne montrant aucune émotion. Il la salua brievement et partit sans se retourner. L'amnésique leva la tête pour ne pas pleurer.

 

La porte d'entrée à peine refermée, Hella se retrouva assaillie par l'odeur d'un bon repas qui la fit saliver, suivi par les cris d'une petite furie blonde qui lui sautait dans les bras. Quelques secondes dans cette maison lui faisaient oublier tous les problèmes de la vie, comme un cocon protecteur où rien de mal ne pouvait arriver. C'était cette ambiance, plus que tout le reste, qui lui donnait envie de rester pour toujours. Alyona arriva pour calmer ses deux filles, sous prétexte qu'un patient dormait à l'étage. Quand Hella demande des détails, sa mère d'adoption lui expliqua qu'en ramenant le mouton à la bergerie, Simon, le frère aîné du couturier, était tombé dans un fossé et s'était cassé une jambe. Décidément, cet animal était maudit. Daniel les appela depuis la cuisine où il commençait déjà à servir le repas. Il releva la tête pour saluer la retardataire, s'arrêtant dans son geste pour y préférer une tout autre remarque :

« On ne m'a pas dit que tu t'étais blessée dans la rivière.

- Quoi ? Où ça ? »

Alyona attrapa le visage de sa fille pour l'observer de plus près, tandis que son mari arrivait déjà avec de l'alcool et des compresses. Hella se souvint alors de s'être écorché dans la forêt. Rien de grave, mais la nature des guérisseurs ne permettait pas la moindre insouciance. Heureusement, il ne lui fallut que quelques minutes pour les rassurer et éviter un bilan de santé complet. Les plaintes de Raya qui voulait manger l'avaient aussi beaucoup aidés.

Le repas se passa dans une bonne humeur habituelle, personne n'abordant l'incident de l'après-midi ou quoi que ce soit de déplaisant. Hella profita d'une discussion animée pour observer la petite Raya qui essayait de trier dans son assiette ce qu'elle aimait de ce qu'elle n'aimait pas. Avec ses cheveux blonds et ses grands yeux verts, elle avait tout de son père. Pourtant, quelque chose dans les expressions de son visage ne pouvait que rappeler sa mère. Alyona avait les mêmes cheveux bruns qu'Hella, mais leur ressemblance s'arrêtait là puisque la jeune fille avait les yeux marrons, le nez bien droit et légèrement relevé, des lèvres minces et des sourcils fins et sombres ; tout le contraire de sa mère d'adoption. En fait, elle ne ressemblait à personne, même si les gens s'amusaient à dire qu'elle avait « le même éclat brillant dans les yeux que sa mère » et « les mêmes mains que son père » - elle ne savait d'ailleurs toujours pas scette dernière remarque était vraiment un compliment -. Malgré tout, elle ne pouvait pas s'empêcher de se dire que, quelque part, il y avait une femme et un homme dont elle avait les traits.

Tiré de ses pensées par une mélancolie qu'elle voulait fuir, Hella remarqua les regards en biais que lui lançaient ses parents d'adoption. Le genre de comportement qui cachait quelque chose. Pris sur le fait par un regard interrogateur, ils passèrent à l'attaque. Daniel lança l'offensif d'un air nonchalant.

« En parlant des tomates du jardin, tu es rentrée tard ce soir.

- Oui.

- Il s'est passé quelque chose de plus dont nous n'aurions pas été mis au courant ?

- Non, j'ai juste mis longtemps à sécher.

- Seul avec Isaac, oui. C'était bien ? »

D'un haussement d'épaule désintéressé, Hella destabilisa l'homme qui resta coi. Mais alors qu'elle pensait avoir gagné le droit au silence, Alyona contre-attaqua.

« Vous avez parlé de quoi ?

- De tout, surtout de rien vu nous ne sommes pas deux bavards. On aime resté silencieux, en d'autres termes.»

Son sous-entendu ne fit pas mouche, preuve ultime s'il en était que ses parents voulaient lui soutirer des informations. Hella prit les devants, coupant la parole à son père qui semblait reprendre du poil de la bête.

« Vous avez vu le nuage de poussière vers le col ? On va avoir de la visite demain.

- Oui, on s'est déjà mis d'accord pour les attendre sur la place à la première heure demain matin, répondit rapidement David. C'est très héroïque ce que tu as fait avec le mouton, mais la manière dont Isaac t'a sorti de l'eau devait l'être tout autant, tu nous racontes ? »

Tentative de distraction échouée, la défense perd du terrain et se rabat vers la gauche pour prendre un otage.

« Pas tant que ça. Et ta journée, Raya ? 

- Ecole, jeux, bain, répondit Alyona. Tu n'as vraiment rien à nous dire de plus ?»

Hella fit non de la tête. La pauvre Raya assistait à cette discussion sans la comprendre, des petits gémissements frustrés commençaient à s'échapper de sa gorge. Daniel arriva en soutien, acculant leur fille adoptive dans un coin de mur.

« C'est vraiment un chic type, cet homme. Qui plus est, il est pas mal fait. »

Hella sentait les étaux d'un piège se refermer sur elle, sans qu'elle ne comprenne d'où il pouvait venir. Ne trouvant rien à répondre, elle se contenta de fixer le couple en attendant le coup final. Daniel essayait vainement de cacher un sourire derrière sa barbe naissante, trouvant dans la parole la seule solution pour se calmer.

« Isaac est venu nous voir ce matin. Tu te doutes que, vu son caractère, il a tenu à me demander ta main avant même de t'en parler. Mais je commence à me demander s'il a osé ... »

Un très long silence suivit cet aveux. Hella s'adossa contre sa chaise, vidée de toute force. Elle tapota la table de l'index pour essayer de vainement de garder son calme.

- Si … Il l'a fait..., finit-elle par murmurer dans un souffle.

- Félicitation ! »

Son hésitation avait peut-être été vu comme de la gêne, mais Hella coupa net à cette euphorie en abattant son poings sur la table. Un geste qui lui sembla tout de suite stupide par sa théâtralité mais qu'elle ne pouvait annuler.

« J'ai refusé. Je n'épouserais personne … Et de toute façon cela ne vous regarde pas. »

Elle se leva, quittant la table sans attendre la moindre remarque, pour aller s'enfermer dans sa chambre. Des larmes silencieuses commençaient déjà à couler le long de ses joues quand elle libéra sa frustration en reversant sa table de nuit.

 

Quand on toqua à la porte, Hella était calmée et un peu honteuse. Alyona passa doucement la tête par la porte entrouverte pour tâter le terrain. Voyant sa fille allongée sur son lit, les bras croisés mais la mine plus triste que boudeuse, elle se permit d'entrer pour s'asseoir au bord du lit, bien qu'aucune invitation n'ait été prononcée.

« Tu sais, ce n'est pas grave si Isaac ne te plaît pas. Tu as tout ton temps pour trouver quelqu'un qui te convienne. On ne voulait pas te forcer.

- Ce n'est pas le problème, objecta Hella en essayant de garder le contrôle des intonations de sa voix.

- Alors … est-ce que tu veux me parler de ce qui te préoccupe vraiment ? Répondit-elle d'une petite voix timide.»

Hella resta un moment silencieuse, posant sa tête sur l'épaule de sa mère qui referma les bras sur elle. Il lui fallait encore un moment avant de pouvoir assumer sa décision et la rendre réelle par les mots. Quand la vérité jaillit, ce fut sans le moindre apparat.

« Je ne peux pas penser à ça parce que je dois partir pour découvrir qui je suis mais je ne veux pas, la solitude me fait trop peur. »

Les bras d'Alyona serrèrent plus fort la jeune fille, comme pour empêcher une force invisible de l'enlever. Pendant une seconde, Hella craignait de la voir s'énerver ou lui interdire de quitter le village avant sa majorité, sa voix conserva pourtant le timbre calme et liquide qui la caractérisait.

«  Oh … je vois. Je savais que ce jour allait arriver, même si j'avais fini par croire que tu pourrais vivre sans souvenir, à force d'en construire de nouveau. Mais bon. C'est ton choix et je le respecte, tout comme Daniel le respectera. Si tu te sens capable d'attendre une année de plus, alors nous aurons le temps de préparer notre départ en bonne et due forme.

- notre ?

- Si tu l'acceptes, nous irons avec toi. Tu es ma fille et je ne compte pas te laisser partir seule dieu sait où. »

L'émotion attrapa Hella à la gorge qui ne put que se jeter dans les bras de sa mère. A partir de maintenant et ceux jusqu'au jour du départ, rien d'autre ne devait avoir d'importance. Elle avait un an pour se préparer à quitter le seul endroit qu'elle n'ai jamais connu.

 

Un bruit étrange réveilla Hella en sursaut. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il avait s'agit d'un cri. Son désir de rester en sécurité dans son lit se mua rapidement en une inquiétude plus grande encore ; elle devait s'assurer que sa famille allait bien. Ce n'était pas la première fois qu'une telle chose arrivait, des patients se réveillaient en hurlant régulièrement, mais cette fois-ci le frisson glacé d'un mauvais pressentiment lui avait parcouru l'échine. La maison commençait déjà à se réveiller, des bruits de pas résonnaient dans le couloir, on ouvrit la porte de la chambre avec fracas. Daniel lui ordonna de rester dans sa chambre, sans y ajouter la moindre explication. Hella ne lui avait jamais vu une expression aussi dure, même dans les pires situations. Elle y repensa bien après qu'il soit reparti, quand elle entrouvrit la porte pour entendre ce qu'il se passait dehors. Des fracas de vaisselle, des cris de toutes sortes, quelques phrases à peine compréhensible. Hella réussit à entendre un « donnez-nous les femmes de cette maison. » avant de refermer la porte. Son corps glissa lentement le long du mur, s’arrêtant dans une position fœtale qui limitait à peine ses tremblements. Tout ça devait être un rêve. Un horrible cauchemar dont elle allait se réveiller bientôt. Un cri d'enfant, l'anima d'un spasme plus violent que les autres. Elle se releva.

Dehors, l'obscurité de la nuit avait laissé place aux couleurs orangées d'un incendie. Comme un automate, Hella ouvrit la porte et descendit les escaliers en courant. Daniel était étendu sur la table de la cuisine, peut-être mort ou inconscient. Elle ne sourcilla pas et continua à marcher d'un pas vif vers la porte défoncée. Aucune pensée ne la traversait, elle se contentait d'agir.

Le village d'habitude si calme et tranquille était tombé dans le chaos. Les flammes grandissaient de plus en plus vite, lui donnant des allures de théâtre d'ombres macabre. Tout ce qu'Hella pouvait distinguer, c'était Alyona qu'une silhouette en armure traînait par les cheveux. Elle prit une grande inspiration pour réussir à hurler plus fort que les autres. La silhouette se retourna et la toisa quelques interminables secondes. Hella bouillonnait de l'intérieur d'un sentiment qu'elle ne comprenait pas, ses muscles commençaient à se contracter en voyant le soldat s'approcher, dévoilant les armoiries du royaume.

« Hella ! Fuis ! »

La jeune fille se retourna vers sa maison qui commençait aussi à prendre feu. Daniel était sur le seuil de la porte, le visage en sang, les yeux rivés vers le combat à venir. A côté de lui, adossé au mur extérieur, gisait le petit corps de Raya. Hella n'entendait plus rien, surtout pas ses éventuelles pensées. Juste son cœur qui battait lentement. Elle fit face au soldat qui brandissait son épée maculée de sang. Son corps continuant de réagir de lui-même. Elle attrapa le bras de l'homme pour le dévier de sa trajectoire et lui fracassa le nez avec la paume de la main. En tombant, il lâcha son épée qui glissa dans la main d'Hella, prête à l'attraper depuis le début. Elle lui trancha la gorge d'un geste sec et méthodique.

Voir un de leur camarade tomber avait fait réagir deux soldats, les autres étant trop occupé à massacrer une population innocente et désarmée. Mais il en fallait plus pour lui faire peur, Hella avait une conscience parfaite de ce qui l'entourait, elle pouvait prévoir les mouvements de ces deux soldats uniquement en regardant leur positionnement. Cette omnipotence désarçonna ses deux adversaires dès leur première attaque, ils se firent plus vigilant que leur défunt camarade, juste assez pour l'obliger à venir les chercher. Le combat n'en restait pas moins parfaitement déséquilibré, Hella créa une ouverture grâce à une feinte et embrocha le premier, bien avant que le deuxième ne lui arrive dessus. Il hésita une seconde à attaquer, signant ainsi son arrêt de mort.

A la vue de son œuvre, le vide en elle se fit submerger par les sentiments qu'elle avait involontairement scellés. Hella lâcha l'épée qui ne sembla faire aucun bruit tant les hurlements environnant retentissaient forts dans l'air. Soudain, elle réalisat sans y croire, se persuadant qu'elle ne pouvait pas être la personne responsable de ces trois cadavres. C'était impossible. Elle était incapable de faire du mal à une mouche. Elle ne savait même pas se battre. Les tremblements la reprirent et la tétanie avec. Elle tourna la tête vers son père en quête de réconfort mais il était allongé au sol, la main tendu vers le corps de Raya sans réussir à la toucher. De l'autre côté, Alyona était en état de choc, réussissant à peine à articuler les mêmes mots que Daniel quelques minutes auparavant. Hella fit un pas en avant pour aller la chercher, sa mère se fit plus insistante.

« Tu as une chance de t'en sortir si tu pars maintenant alors ne te retourne pas ! »

Jamais Hella n'appliqua si justement un ordre. Animé par un instinct de survie qui ne pensait qu'à l'éloigner de ce village, il ne lui fallut qu'un instant pour abandonner son courage, sa dignité et sa mère pour s'enfuir. La nuit redevint noire et silencieuse mais Hella continua à courir jusqu'à ne plus sentir ses jambes. Les sanglots qui l'animaient étaient incontrôlables. Elle ne savait pas si sa mère avait fuit aussi, ni comment aller Isaac. Peut-être son père et Raya étaient-ils vivant aussi, seulement inconscient. Pourtant, même si l'incertitude la rendait malade, Hella n'arrivait pas à faire demi-tour, ses pas l'éloignant toujours un peu plus du village. Elle ne s'arrêta qu'en entendant la rivière. Là elle se dépêcha de plonger les mains dans l'eau pour les nettoyer du sang qui les souillaient, ainsi que celui qu'elle sentait couler le long de son visage. Mais, quoi qu'elle fasse, elles ne lui semblaient jamais propre, comme si l'horreur de son acte s'était à jamais greffé dans sa peau. Hella se boucha les oreilles pour ne plus entendre les cris qui résonnaient dans sa tête, sans oser y répondre par celui qui brûlait sa poitrine.

 

Hella se réveilla à l'aurore, les vêtements trempés par la pluie. Les restes d'adrénaline de la veille la firent sursauter, persuadée qu'on allait lui tomber dessus d'une seconde à l'autre. Cependant, il n'y avait personne, pas même un oiseau. La forêt n'avait jamais été aussi silencieuse. Elle n'avait jamais été si seule. Ses pas la guidèrent vers le seul endroit qu'elle connaissait, elle se rendit alors compte qu'un tel lieu n'existait plus. Toutes les maisons étaient en ruines, la pluie ayant noyée les dernières flammes. De la forge il ne restait que l'enclume et quelques poutres, juste assez pour imaginer dans quelles circonstances chacun de ses occupants étaient morts. Hella le faisait sans le vouloir en tout cas, les images s'imposant à elle sans lui demander son avis. Le père d'Isaac avait essayé d'attraper un marteau mais un carreaux d'arbalète avait eu raison de lui avant, le fils aîné en avait profité pour attaquer un des soldats dans le dos avant de rentrer dans la maison, sûrement déjà en feu puisqu'une poutre lui était tombée dessus. Une partie des murs avait survécu, au point que la jeune fille pouvait marcher dans le couloir à ciel ouvert. Devant une chambre à la porte enfoncée, un corps carbonisé et un deuxième à l'intérieur, en boule dans un coin. Hella sentit ses jambes défaillir et se laissa tomber à genoux. Son estomac se contractait douloureusement mais rien ne pouvait en sortir. Le feu avait démarré de la chambre du plus jeune frère, on avait jeté une torche par la fenêtre et celle-ci avait roulée jusqu'à la porte. Isaac avait alors essayé de libérer le gamin en enfonçant la porte, sans savoir qu'une vague d'air brûlante allait le tuer sur le coup. Comment l'aurait-il su ? D'où elle-même pouvait-elle le savoir ?

Hella passa dans chaque maisons du village fantôme, ne s'arrêtant que devant la sienne. Aucun des trois membres de sa famille n'avait bougé d'un centimètre, comme si cette scène s'était figée avec son départ. La jeune fille s'agenouilla devant sa mère pour réajuster sa robe dans une position plus décente, ignorant le liquide blanc qui coulait le long de sa cuisse. Puis elle resta là, immobile comme une statue, le regard absent. Devant ses yeux ne défilaient que les souvenirs de la veille, comme si le temps s'était arrêté cette nuit là et qu'on l'avait enfermé dans une boucle infernale où, quoi qu'elle fasse, elle ne pourrait que revivre ce moment sans jamais sauver quiconque. La jeune fille sentit à peine qu'on soulevait son corps de terre et qu'on l'éloignait du village. Elle se sentait si peu touchée par ce qui pouvait lui arriver qu'elle avait l'impression de se voir à la troisième personne, assistant à une vie qui n'était plus la sienne, dans un monde qui n'existait plus vraiment.

14 novembre 2014

Hirokane chap 1

Je ne sais pas tellement comment présenter l'histoire, puisque tout va être écrit juste en dessous.

En gros, c'est celle d'Akane qui débarque à l'université, elle est seule et perdue, au sens propre comme au figuré. C'est à ce moment qu'elle va rencontrer Hiro, une fille étrange qui va attirer sa curiosité et sa sympathie. 



Bonne lecture !



Emili

 

 

 

 


 

 

CHAPITRE 1



« Cher journal,

Aujourd’hui, précisément dans 25 minutes, je me lance dans la grande vie d’une étudiante. C’est une grande aventure pour moi alors j’ai décidé de … »



Un long soupir brisa le silence de la petite chambre universitaire avant qu’une main lasse ne referme le carnet. Pourquoi s’était-elle lancée dans l’entreprise d’un journal intime ? Quel était l’intérêt de ce genre d’objet ? Akane n’avait jamais éprouvé le besoin de se confier à l’aide d’une feuille et d’un stylo. Quand elle voulait vider son sac, elle savait qu’elle pouvait compter sur ses amies et sur sa famille. Son regard se posa sur le petit tableau où elle avait collé plusieurs photos du lycée, la foire des sciences avec ses inventions inutiles, le bal de promo où elle s’était rendue avec son cavalier, quelques sorties avec des professeurs ennuyeux. C’était tellement cliché que la jeune fille poussa un second soupir avant de se rappeler qu’elle n’avait pas que ça à faire. Un rapide coup d’œil à l’heure lui arracha un râle qui masqua son inquiétude. Le téléphone sonna, sortant Akane de ses pensées et la faisant légèrement sourire.

« Non m’man, je n’ai pas oublié de me lever, oui j’ai pris un bon petit-déjeuner et non, tu n’as pas de soucis à te faire pour moi. »

La voix de l’autre côté du combiné émit un petit rire avant de s’enquérir de l’état de sa chère progéniture. Akane savait que c’était une grande fierté et en même temps une immense source d’inquiétude de savoir sa fille à l’université. Pourtant la jeune fille était plutôt douée, élève modèle au lycée, sûre d’elle, il n’y avait aucune raison que cela se passe mal. Et puis sa mère n’était pas si loin que ça, une grosse heure en voiture de Renton. Cet appel maternel de surveillance quotidienne dura de longues minutes alors que d’un œil inquiet, Akane regardait les aiguilles de la pendule courir vers l’heure fatidique.

« M’man, tout ira bien, je dois filer ! Je te rappelle, je t’aime. »

Il restait à Akane une petite dizaine de minutes pour finir de se préparer avant de partir pour son premier cours, le chronomètre était lancé. Un cahier et des stylos furent jetés dans son sac à dos, un sandwich fut préparé à la va-vite - la grande cuisine ça sera pour plus tard - et finalement il ne manqua plus à la jeune fille qu’à vérifier sa coiffure et ses vêtements devant le grand miroir en pied que sa mère lui avait donné. Akane se figea, tentant de voir ce qui pouvait clocher chez elle et lui attirer de mauvaises remarques dès le premier jour, mais elle ne vit rien de choquant. Ses cheveux ébène mi-longs retombaient assez harmonieusement sur ses épaules, du moins pour le peu de soin qu’elle leur portait. Son jean ne présentait pas de défaut majeur, son tshirt était on ne peut plus simple, et sa veste à capuche … Sa veste à capuche était trop chère à son coeur pour qu’elle puisse considérer une seule seconde la changer. Ce n’était peut-être pas du dernier cri en matière de mode, mais si Akane se souciait de la mode, le monde ne serait pas tel qu’il était. Le confort avait toujours pris une place plus importante dans sa vie que la beauté superficielle, et si, en plus, elle pouvait passer pour madame tout le monde alors c’était parfait. Malgré son impression d’assurance, Akane était terrorisée à l’idée de fréquenter une nouvelle école, sans aucun ami à qui se raccrocher. Et si elle ne s’y plaisait pas ? Quatre ans dans une vie c’est tellement long, l’idée de les passer dans la solitude lui nouait le ventre.



Il n’était pas tout à fait 7h45 lorsque la brunette ferma la porte de son nouveau chez elle, une chambre d’une quinzaine de mètres carrés, parfaitement équipée mais qui valait tout de même son prix. Vu l’investissement que faisait sa mère pour l’envoyer dans cette université, c’était sûr, Akane n’avait pas le droit à l’erreur. Elle prit une profonde inspiration avant de se lancer dans le couloir qui menait à l’escalier qui menait lui-même à l’extérieur. A l’extérieur, ou plutôt dans l’inconnu total qu’était cette université. L’air frais réveilla en elle un brin d’excitation qui ne fit pas totalement disparaître ses appréhensions et Akane quitta donc le dortoir comme un explorateur quitte son pays, pour traverser le campus jusqu’au bâtiment de l’administration. Elle avait encore quelques détails à régler avant de pouvoir commencer les cours à proprement parler, notamment par rapport aux salles de cours qui n’étaient pas indiquées dans l’emploi du temps qu’on lui avait donné … En arrivant devant l’imposant bâtiment, Akane soupira de nouveau. Quel genre d’établissement était incapable de fournir un planning complet dès l’inscription ? Ce n’était pas l’image qu’elle s’était faite de la vie universitaire, mais après tout, elle serait capable de s’adapter, comme elle s’était adaptée au lycée, comme elle s’était toujours adaptée à toute situation étrange ou perturbante, dans le cas présent avec le personnel le plus incompétent du pays.



« C’est une blague … »

Akane regarda l’écriteau en soupirant avant de finalement pouffer de rire. Bien sûr elle riait jaune : l’administration ne serait ouverte aux étudiants qu’à 8h30, soit à la même heure que son premier cours. Elle inspira profondément et se dit, qu’au pire, tous les étudiants seraient dans le même cas, au mieux, le professeur lui-même n’aurait pas eu l’information et le cours serait juste annulé. Akane décida donc de s’asseoir pour patienter jusqu’à l’ouverture de l’administration. Jouant avec les ficelles de sa veste, elle repensait à sa rentrée au lycée. Cela avait aussi été un petit bouleversement d’arriver dans cet établissement. Un lycée pas très reluisant qui tentait de se racheter une réputation, rempli de petits délinquants en tous genres. Et elle, la petite Akane, avait réussi à s’y faire une place, se hissant jusqu’à un poste plutôt important dans le conseil des élèves. Sûrement un peu grâce aux cours d’aïkido qu’elle avait pris après son entrée au collège. Au final, sa place lui avait permis d’aider beaucoup d’élève à revenir dans le droit chemin, elle avait enrayer la violence par la fermeté, rétablie une certaine idée de respect là où avant il n’y avait que les lois de la jungle. Il serait difficile, voire impossible, d’atteindre le même niveau de reconnaissance dans cette vaste université, mais si elle continuait à essayer d’aider une poignée de personnes comme elle avait pu aider les élèves de son lycée, alors Akane serait déjà heureuse. Sans compter que sa mère serait encore plus fière d’elle, ce qui n’était pas rien. Mais pour l’instant, il fallait trouver le mystérieux lieu de son cours, chaque chose en son temps.



« Salut ma jolie, tu attends quelqu’un ? »

L’étudiante avait à peine perçu les bruits de pas de la personne qui s’était approché d’elle. Par contre elle ne rata pas cette phrase d’accroche plutôt originale qui lui fit lever la tête … C’était une phrase tellement clichée que lui avait servi cette inconnue. Oui cette, car il s’agissait bien là d’une voix féminine qui s’adressait à elle sur ce ton mielleux, c’est peut être ce qui la surpris le plus. Akane fit une grimace, se rappelant des lourdauds qui l’avaient accostée de la sorte au lycée, ainsi que de la manière dont ils avaient été reçus. Mais c’était une nouvelle vie qui commençait ici, et la débuter avec une agression serait mal venu, même si l’idée était tentante. Aussi, Akane décida de ne pas rentrer dans son jeu en jouant plutôt la carte de l'indifférence, celle-ci la détaillait du regard, pas spécialement décontenancée face à l’absence de réaction de la nouvelle. Qui plus est, c’était un regard qui la mit aisément mal à l’aise, elle n’était pas particulièrement enchantée à l’idée qu’on l’observe comme ça, en retour elle essayait de lui rendre la pareille, la détaillant rapidement. C’était une jeune femme, à peu près dans la même tranche d’âge qu’elle, d’origine asiatique et aux vues de ce qu’elle portait, elle ne semblait pas non plus particulièrement concernée par son apparence ; avec un petit côté clochard qu’Akane n’avait heureusement pas. Pourtant son visage avait quelque chose de prétentieux et fondamentalement provocateur, comme si le monde lui appartenait. C’est cette partie qui attira l’attention d’Akane qui se demandait d’où pouvait venir une telle assurance, et pour calmer sa curiosité, elle allait devoir lui parler, malgré cette horrible première impression.

« Merci pour le compliment … je suppose. J’attends quelqu’un de l'administration, j’ai juste besoin d’une information pour mon premier cours, pour les suivants j’espérais que les autres étudiants auraient les informations qu’il me manque.

- Alors là tu risques d’attendre longtemps … »

Akane esquissa un sourire, c’était bien l’impression qu’elle avait aussi. Elle se leva finalement, se mettant à la même hauteur que sa nouvelle rencontre.

« Je m’appelle Akane, je rentre en première année, et toi ? Tu bosses pour l’administration ? »

Akane leva les yeux au ciel dans son esprit, regrettant cette réplique sitôt qu’elle eut franchi le seuil de ses lèvres, comme si une fille de son âge pouvait travailler là. D’ailleurs, un mince sourire fendit le visage de l’inconnue qui fit non de la tête.

« Je m’appelle Hiromushi, mais appelle-moi Hiro. Je peux essayer de t’aider quand même, qu’est ce que tu cherches ?»

« Enchantée Hiro … Hum à tout hasard … Non rien, laisse tomber. »

Quelles étaient les chances pour que cette fille puisse la renseigner sur sa salle de cours ? Nulles, ou alors le hasard faisait particulièrement bien les choses. La fac était immense, le nombre de cours disponibles complètement fou, et évidemment savoir où était sa fameuse salle revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Akane fit une moue pensive en parcourant les alentours de son regard noisette, cependant elle n’avait pas vraiment l’embarras du choix. C’était soit passer pour une idiote en pariant sur le savoir de cette fille étrange, soit attendre une administration qui n’ouvrirait peut-être jamais et rater son cours.

« A tout hasard, tu ne suivrais pas le cours d’économie de première année de M.Thomas H. Dockery? Enfin … si toutefois tu suis les cours ici. »

Akane s’arrêta net, ce n’était pas son genre de juger les gens, d’ailleurs elle détestait les personnes qui faisaient cela. Sauf qu’elle venait de baisser les yeux et de remarquer qu’Hiro n’avait pas de sac donc ni cahier ni stylo. L’idée qu’elle ne soit même pas du campus germa dans son esprit, et elle se sentit encore plus bête de lui demander de l’aide. Ou alors Akane était trop sérieuse et c’était normal à l’université … Toujours est-il qu’elle était plutôt confuse et qu’elle commença à se racler la gorge en regardant partout autour d’elle avant de reprendre la parole.

« Excuse moi, c’était déplacé de ma part, après tout je ne te connais pas. C’est juste que tu n’as pas l’attitude de la première de la classe. Oh je ne veux pas dire que tu aies l’air bête, bien au contraire, mais pas franchement motivée, non ? Enfin après tout ce ne sont pas mes affaires, et je devrais me taire maintenant … »

Son interlocutrice ne semblait pas s’offusquer, au contraire ses traits se détendirent encore une fois en un sourire amusé, plus moqueur que le précédent.

« Drôle de façon de t’excuser. Mais tu as raison, je ne suis pas inscrite. Heureusement pour toi je connais assez bien les lieux pour te conduire à ta salle. Intéressée ?

- C’est plutôt étonnant pour une personne qui n’est pas inscrite de connaître les lieux mais je suppose que c’est une chance pour moi. »

Hiro ouvrit la marche dans le silence le plus total, glissant une main dans la poche de son jean d’un air nonchalant. On pouvait entendre le bruit de leurs pas résonner dans les couloirs presque vides, les quelques retardataires, hâtifs, ne faisaient que rappeler que les cours allaient bientôt commencer. Contre toute attente, ce fut l’inconnue qui brisa ce moment un peu pesant pour Akane.

« Hum et tu viens de quel lycée du coup ?

- Un lycée comme n’importe quel lycée, dans une petite ville paumée de la banlieue de Seattle. Rien de bien extraordinaire. Mais c’était un peu une obligation pour moi d’aller là-bas, les autres lycées avaient des frais d’inscription trop élevés ou alors ils étaient trop loin de chez moi, alors … C’était un repaire de petits caïds, loin d’un paradis scolaire, mais je m’en suis sortie, il faut croire. Enfin, ça n’est pas si intéressant que ça … Et donc, tu comptes reprendre les études ou pas du tout ? »

Akane se figea lorsque Hiro s'arrêta et se retourna. Elle eut beau réfléchir à vive allure, elle ne réussit pas à prévoir le geste d'Hiro qui l’attrapa par le menton pour l’obliger à la regarder dans les yeux. Il n'y avait rien de violent dans son geste, c'est sûrement pour cela qu'Akane ne chercha pas à la repousser comme elle l'aurait fait avec n’importe quel abruti de son lycée.

« T’as pas vraiment l’air venir de ce genre de milieu, pourtant ...»



Que répondre à ça ? Akane ne savait même pas si c’était un compliment, encore moins ce qui lui permettait d’avancer ça. Finalement, elles reprirent leur chemin avant qu’Akane puisse réagir, et Hiro lui expliqua vaguement qu’elle n’avait jamais eu de raison de faire des études, comme si de rien était. Mais Akane n'était plus tellement attentive à la conversation, concentrée sur la compréhension, ou plutôt l'incompréhension, de la jeune fille. Akane lui jetait de rapides coups d'oeil alors qu'elle marchait devant, comme si cela allait l'aider à la comprendre. Ce qu'elle remarqua confirma la sensation qu'elle avait eut plus tôt. Hiro avait beaucoup d’assurance, malgré son allure de baroudeur, elle marchait comme si les couloirs lui appartenaient, et c’était peut être pour ça qu’Akane n’avait pas su comment réagir. Ca et aussi, peut être, ce corps très musclé sous ses vêtements amples, résultant sûrement d'une activité physique intense. Akane sourit d'un air médiocre, elle s'était toujours considéré comme plutôt bien faite, mince, musclée, assez musclée même, mais devant Hiro, elle faisait pâle figure. En fait, cette fille devait obtenir tout ce qu’elle voulait, entre son assurance, son culot, ses magnifiques longs cheveux noirs et son corps mince. C’en était presque énervant.



Mais voilà qu’elles étaient entrées dans un bâtiment qui indiquait les salles d’économie. Les sentiments d'Akane étaient mitigés, heureuse de découvrir qu’Hiro n’avait pas menti et en même temps terrifiée à l’idée de découvrir ce nouveau monde. Et puis … allait-elle quitter Hiro avant même d'avoir pu en découvrir plus sur elle ? Si au début elle avait fait preuve de politesse, maintenant elle était curieuse, elle voulait savoir qui était cette fille atypique, ce qu’elle faisait là sans étudier, pourquoi elle connaissait sa salle de cours, et plein d’autres questions qui fusaient dans sa tête à mesure qu’elle en cherchait une à poser.

« Tu as l’air plutôt musclée, est-ce que tu as fait du sport pour remplacer les cours que tu ne suis pas ?»

Parmi toutes les questions qu’Akane pouvait poser, elle avait choisie la plus banale, mais avec la formulation la plus stupide possible. Mais c’était trop tard pour revenir en arrière, les mots avaient traversés sa bouche sans qu’elle puisse les retenir et la jeune étudiante voyait déjà sa nouvelle connaissance se vexer et disparaître de sa vie en emportant sa part de mystère. Heureusement ça ne se passa pas comme ça, Hiro se mit à rire, sans pour autant lui répondre. Parfait, elle pouvait essayer de se rattraper.

« J’ai fait de l'aïkido, j’ai commencé vers la fin du collège et j’aurais aimé continuer mais ici je ne sais pas si j’aurais le temps ou s’il y a au moins une salle pour que je puisse faire un peu de sport, enfin … Tu vois le genre.

- Tu m'étonnes, dans un lycée aussi pourri faut savoir se défendre. J'ai fait beaucoup de combat de rue, ce n'est pas vraiment un sport mais ça forge. Pas de règle, pas d’arbitre, juste deux ou trois personnes qui donnent tout ce qu’ils ont... Enfin bref, il y a une salle de sport dans le campus, donc tu pourras continuer à t'entraîner si tu veux. »

Plantée face à Hiro, qui avait l’air franchement heureuse en parlant de se battre, Akane réfléchit à la façon la plus simple de lui demander d’être son guide dans l’université. Le campus était juste immense, elle ne savait pas où pouvait être la fameuse salle et, honnêtement, elle ne voulait pas être seule face aux regards des habitués de la salle, du moins, pas le premier jour. L’idée pouvait paraître stupide puisqu’après tout, Akane ne connaissait rien de cette fille. Mais n’était-ce pas justement l’occasion d’en savoir plus ?

« Est-ce que tu seras là ? Je veux dire, à la salle de sport ? Je ne sais pas trop comment ça fonctionne, est-ce que les étudiants ont un libre accès là-bas ? Enfin c’est si tu n’as rien à faire, je ne voudrais pas te déranger … »

Akane jeta un coup d’œil devant la salle où elles s’étaient maintenant arrêtées. Sûrement là où se tenait son cours si elle en croyait le nombre de personnes qui attendaient déjà à l’intérieur, dans le doute elle prit son courage à deux mains et demanda à un des étudiants qui passait à côté d’elles, il lui confirma que c’était la bonne salle avant de rentrer avec les autres. Une foule de personnes qu’elle ne connaissait pas et qu’il faudrait qu’elle apprenne à connaître, au moins un peu si elle voulait s’intégrer. La brune soupira pour se donner du courage, elle allait y arriver. Elle reporta son attention sur Hiro, s’apprêtant à la remercier et à la saluer avant d’entrer dans la salle de cours quand celle-ci reprit la parole, lui adressant un petit sourire en coin.

« J'y serai aussi ce soir. J'essaierai de ne pas trop te ridiculiser. »

Une fois encore, Akane fut prise de court. Elle avait complètement oubliée ses questions et voilà qu’elle n’avait ni le temps de s’excuser, ni le temps de la saluer, puisqu’elle repartait déjà sur ses pas en lui adressant un petit signe de la main. L’étudiante resta plantée devant la salle, clignant plusieurs fois des yeux avant de se secouer pour entrer dans la vaste salle où elle repéra une place libre, dans un coin isolé. Il y avait déjà un groupe de trois filles installées, Akane arrivait un peu comme un cheveu sur la soupe mais qu’ importe. Elle inspecta rapidement les trois étudiantes, cherchant à savoir d’un regard si elle avait la moindre chance d’être amie avec elles : Une blonde à l’air plutôt superficiel en train d’ajuster son maquillage, génial. Une brune concentrée sur sa tablette, peut-être en train de jouer à Candy Crush, mais concentrée tout de même. Et la dernière, quasi invisible, brune aussi mais sans rien de remarquable. Enfin une personne abordable. Akane salua timidement les trois filles en s’asseyant.

« Salut, je m’appelle Akane. »

Les trois la dévisagèrent sans répondre avant de finalement la saluer à leur tour. Un peu spéciales celles-là aussi, une habitude du campus, peut-être... Mais tant pis, maintenant qu’elle était installée, Akane n’allait pas se lever pour trouver une autre place, surtout que le professeur rentrait à son tour dans la salle. Akane soupira de soulagement en se disant qu’elle était arrivée juste à temps, finalement. Le professeur se présenta, lui et son programme qui, raconté ainsi, n’avait pas l’air passionnant mais Akane tentait tout de même de suivre. Du moins jusqu’à ce qu’une de ses camarades l’interpelle, la blonde superficielle d’ailleurs.

« T’es nouvelle par ici non ?

- Euh … C’est pas le cas de tout le monde ? On est pas dans le cours de première année ?

- Si si, mais disons que tu devrais quand même surveiller tes fréquentations si tu ne veux pas passer pour …

- Mes fréquentations ? Passer pour quoi exactement ?

- Bah cette fille tout à l’heure, elle a plutôt une sacrée réputation. Tout le temps dans le coin alors qu’elle a jamais mis les pieds en cours. Le genre dure à cuire qui fait ce qu’elle veut avec qui elle veut. Il parait qu’elle est mêlée à tout un tas d’histoire louche, la drogue, la prostitution, et des tas de gens l’ont vu errer dans les rues comme un clochard au milieu de la nuit. Pas le genre de personne à fréquenter quoi … »

Akane allait lui répondre mais le professeur se tourna vers le petit groupe en lançant un regard noir. Elle ne prononça pas un mot de plus pendant tout le cours, essayant de suivre autant qu’elle le pouvait en réfléchissant à ce qu’avait raconté la blonde à côté d’elle. C’était des ragots mais les ragots avaient toujours une origine. Pourtant, de ce qu’elle en avait vu, Hiro n’était pas comme ça. En dehors de ses quelques gestes déplacés, elle avait été correct, rien à voir avec les caïds de son lycée … Quoi que, l’idée lui avait justement traversé l’esprit deux fois, durant les cinq minutes qu’avait duré leur marche. Et si c’était vrai ? Si les rumeurs étaient fondées, alors Akane avait donné rendez vous à la personne la plus dangereuse de l’université. L’étudiante soupira en posant son front sur son cahier. Dans quoi elle s’était encore fourré ?



L’heure du repas arriva bien vite, et c’est perdue qu’Akane fouilla son sac à la recherche de son merveilleux sandwich. Sandwich qu’elle ne trouva pas, génial, maintenant elle devait de l’argent à l’une des trois dindes. Une fois son repas terminé, Akane soupira en vidant son plateau repas dans la poubelle la plus proche, avant de rejoindre les trois greluches qu’elle avait décidé de suivre pour la matinée, plutôt pour la journée puisque visiblement ces trois-là suivaient les mêmes cours qu’elle. Par chance aucune des trois n’avait jugé utile de rajouter sa part de commérages, Akane n’était pas certaine d’avoir eu le courage de supporter ça. Par contre il fallait supporter les discussions fringues, maquillages et boyfriend, la trinité des sujets qui n’intéressaient pas Akane, lui laissant la joie de se monter la tête toute seule avec son rendez-vous du soir. Les cours passaient à une vitesse raisonnable pour quelqu’un qui n’écoutait qu’à moitié et quand le dernier cours de la journée prit fin, la nouvelle venue du campus fila à la vitesse de la lumière jusqu’à son dortoir pour s’y enfermer, à double-tour, avant de réaliser à quel point son geste était stupide.

« Tout ira bien, ces filles ne faisaient que raconter des cracks … Tout ira bien ! Et puis, au pire, tu es Akane la guerrière, tu vas pas flipper pour des histoires.»

Akane jeta son sac à dos sur son lit avant d’aller se changer, tout en se répétant que tout irait bien pour essayer de s’en persuader. Et puis elle était trop curieuse pour rebrousser chemin maintenant, une curiosité qu’elle ne s’expliquait pas, tant pis si ça allait lui causer des ennuis. C’est en faisant des erreurs que l’on apprend … Ou qu’on finit dans une poubelle en trois morceaux.

Elle était fin prête, ou presque. La brunette préféra ranger sa chambre avant de repartir en vadrouille, rien à voir avec une quelconque tentative de repousser l’échéance, vraiment. Son sac à dos retrouva donc son bureau alors qu’une moue dégoûtée s’affichait sur son visage. Finalement le sandwich était bien au fond du sac, mais il avait moins bien survécu à cette journée qu’Akane. Est-ce que c’était à cela qu’on ressemblait après avoir être passé entre les mains d’un psychopathe ? La jeune fille déglutit ; il fallait vraiment qu’elle arrête de se faire flipper pour rien.




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