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L'écrivaillon
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  • Publication de textes, un peu de tout, avec un nouveau chapitre de roman tous les vendredis ! Le but est de tester des trucs, de s'amuser, donc vous pouvez (vous devez) pointer du doigt les défauts mais ne vous prenez pas trop la tête :) Toolite, Emili
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21 novembre 2014

Eve Kelim chap 1

Déjà vendredi ?! Waou, ça va à une vitesse... Bon, en vrai, on est pas vendredi, le message est programmé pour ne se publier que vendredi, par contre... Qui s'en fout ? Tout le monde ? C'est bien ce que je pensais.

 

Donc, déjà vendredi. Voici, comme convenu, le premier chapitre d'une nouvelle histoire. J'ai beau aimer les débuts, j'ai toujours été mauvaise pour débuter une histoire. Le pire c'est la première phrase, une des plus importante pour le lecteur et, nécessairement, une des plus terrifiante pour l'auteur.

Tout ça pour dire que je ne suis pas satisfaite de ces quelques pages, je trouve qu'on sent mon impatience à parler d'autre chose, mais il fallait vraiment que je passe par ce passage pour amener la suite. J'espère que vous apprecirez quand même :)

 

Bon week end !

 

Emili

 


 

 

CHAPITRE 1

Le jour le plus long

 

 

Hella sauta par dessus une racine pour ne pas perdre son élan, au détriment de son visage qui s’écorcha contre une branche. Courir en forêt n'était pas un exercice dans lequel elle excellait, particulièrement quand elle ne connaissait pas bien les lieux, mais la faim justifiait les moyens et, dans le cas présent, les bêlements du mouton qui était tombé dans la rivière.

Entre les troncs d'arbres centenaires, la jeune fille pouvait apercevoir le pelage blanc de l'animal glisser dans l'eau, s'éloignant de plus en plus vite. Son souffle avait beau être court et ses côtes douloureuses, elle accéléra un peu plus pour rejoindre la plage et s'offrir un sprint magistrale jusqu'au ponton d'où elle sauta, attrapant avec un timing parfait le mouton en détresse. A cet acte héroïque s'écrasa la dure réalité de la vie ; Hella ne savait pas nager. Autant dire que les coups de patte de l'animal ne l'aidait en rien mais elle n'osait pas pour autant le lâcher pour sauver sa propre vie. De quoi aurait-elle l'air sinon ? Le courant avait beau les emporter, l'eau infiltrer ses narines et ses jambes refusaient de suivre ses ordres mais elle ne lâcha pas prise.

Son entêtement aurait bien pu lui coûter la vie, s'il n'y avait eu âme charitable pour la secourir. Hella attrapa la corde qu'elle vit flotter à ses côtés comme si sa vie en dépendait. Ce qui était le cas. En quelques secondes ils étaient sur la berge, saufs. La jeune fille faillit embrasser le sol de bonheur, avant que deux bras solides ne la saisissent pour la secouer dans tous les sens. Hella recracha ce qui lui sembla être un océan entier avant de recouvrir l'usage de ses sens.

 

Elle reconnut alors l'homme à qui appartenaient les mains qui enlevaient les mèches mouillées de son visage. Isaac. Sa bouche bougeait, mais Hella n'était pas en mesure de comprendre ce qu'il disait tant le sang pulsait contre ses tempes. Il semblait donner un ordre à quelqu'un d'autre … A son père un peu plus loin et à d'autres hommes à l'allure indéfinie. Hella s'en désintéressa et observa le mouton qui broutait nonchalament un peu plus loin, déjà remit de ce qui venait de lui arriver. Le père d'Isaac attrapa l'animal par le pelage pour l'emmener dans la forêt, suivit par les autres, à l'exception de son fils qui n'avait pas bougé. Hella se rendit compte qu'elle entendait encore les bêlements du mouton contre son oreille, ainsi que les remous de la rivière. Mais ces bruits se faisaient de plus en plus lointains, comme un écho qui finit par se perdre dans le vide.

« Qu'est-ce qui t'a prit de sauter si tu ne savais pas nager ? S'enquit Isaac.

- Je ne le savais pas, lâcha Hella d'un air lointain.

- Pardon ?

- Que je ne savais pas nager. Je n'y ai même pas pensé avant d'être dans l'eau. Pourquoi sont-ils partis sans nous ?

- Je leur ai dit que tu avais besoin de plus de temps pour t'en remettre et que je m'occuperais de toi en attendant. »

 

Le choc passé, le seul souhait d'Hella était de s'éloigner de cette satanée rivière. Les deux amis trouvèrent un coin tranquille pour sécher, juste à côté d'un mûrier sauvage. Isaac n'était pas du genre bavard mais, cette fois-ci, il fit tous les efforts du monde pour réussir à distraire la jeune fille, cherchant à rajouter de l'épique dans les histoires les plus banales, comme la fois où la barrière de la bergerie s'était brisée dans la nuit et qu'ils s'étaient tous retrouvés à chercher brebis et poules dès l'aurore. Ou bien le jour où, enfant, il avait fait tombé un énorme marteau sur le pied de son père qui était devenu fou de rage.

Un long silence se fit après leurs éclats de rire, Isaac à court d'histoire. Le coucher de soleil recouvrait la vallée d'une lumière jaune-orangée qui sublimait la forêt et le village qu'elle entourait, mais Hella n'arrivait pas à se contenter ce qu'elle avait sous les yeux, étirant son esprit par delà les montagnes, vers l'inconnu. Son ami sembla capter ses pensées, la mine soudainement beaucoup plus sombre.

« Tu vas t'en aller, c'est ça ?

- Pardon ?

- C'est pour ça que tu fais tout ça, n'est-ce pas ? Courir après les moutons des autres à tes risques et périls, rendre service à tout le monde, même pour les tâches les plus ingrates. Tu travailles plus que les autres, tu ne te plains jamais, tu ne demandes rien … C'est parce que tu penses que tu as une dette à régler.

- Non. Je n'aime pas être inactive, c'est tout. J'ai vraiment besoin de me dépenser le plus possible. »

Les grosses mains de l'apprenti forgeron caressaient les brins d'herbe avec une infinie tendresse, laissant les insectes traverser sa main sans en déranger un seul. Hella voyait que cette réponse ne lui suffisait pas. Elle poussa un long soupire avant de reprendre la parole.

« Quand je suis arrivée, il y a un an, j'étais perdue et je n'avais rien. Vous m'avez accueillie, logée et nourrie sans rien savoir de moi. Au début j'étais reconnaissante, je voulais me racheter auprès de vous. Mais maintenant, je me sens chez moi ici alors je n'ai plus rien à prouver. C'est peut être l'influence d'Alyona et de Daniel mais ça me fait sincèrement plaisir d'aider les autres, je ne m'y sens pas obligée.

- Alors pourquoi tu veux partir ? »

Hella se figea dans son geste, une mûre à quelques centimètres de sa bouche ouverte. Isaac était énormément de chose, mais pas insistant et boudeur. La question devait beaucoup le perturber pour qu'il agisse de la sorte, qui sait depuis combien de temps il voulait poser la question ? Aussi, Hella décida de ne pas s'énerver, poussant un deuxième soupire, elle enfourna le fruit dans la bouche d'Isaac, l'invitant d'un ton las à arrêter de dire des bêtises. Mais, à peine la mûre avalée, l'apprenti forgeron revint à la charge par un autre viais, le visage crispé par le sérieux de son humeur :

« Je t'aime. »

Encore une fois, elle se retrouva bloqué par la surprise. Cette après-midi aux apparences calmes et tranquilles commençait à prendre une tournure assez désagréable. Elle réalisa que sa noyade avait dû être un élément déclencheur chez son ami.

«  … Je sais. Tout le monde le sait, lâcha-elle sans le regarder.

- Si … Si tu m'épouses tu ne seras jamais dans le besoin, je travaillerais dur pour te rendre heureuse et … et tu garderas ta liberté, tu pourras faire ce que tu veux, parler à qui tu veux... Pas forcément maintenant, on est encore jeune mais quand je pourrais reprendre la forge de mon père … »

Le seul moyen d'arrêter son discours bredouillant et confus aurait été de lui hurler dessus ou de le gifler, tant il ignorait les demande trop douce de la jeune fille. Hella choisit finalement de déposer un baiser sur ses lèvres pour les empêcher de bouger, se surprenant à apprécier la chaleur de ce contact qui lui semblait étonnement familier. Quand elle s'écarta, Isaac était aussi rouge qu'elle-même devait l'être. Cette fois-ci, elle ne le lâcha pas des yeux.

« C'est ça que je veux. Tout comme je souhaite rester ici pour toujours. Mais je sais qu'un jour j'aurais besoin de savoir qui je suis. Ne m'interromps pas, s'il te plait. Comment-est ce que je pourrais t'épouser avec un tel manque en moi ? Et quand je serais mère, je ne serais pas quelles seront les origines de mes propres enfants, je ne pourrais jamais leur raconter d'où ils viennent. Je sais que la personne que j'ai été ne fait pas forcément celle que je suis aujourd'hui, je ne manque de rien ici. Mais … J'ai cette impression que quelqu'un m'attend dehors et que c'est très important. Je ne sais pas d'où il vient mais je sais que je ne pourrais pas vivre éternellement avec ce sentiment, alors, je ne peux pas m'engager en sachant qu'un jour je vais devoir partir. Tu comprends ?

- Oui je comprends. Tout le monde le comprend. »

Le parallélisme fit sourire Hella qui reprit la contemplation du coucher de soleil, bien contente que cette discussion ne se soit pas terminer dans une crise de larme, même si Isaac, dans son imense compréhension, ne semblait pas prêt à sourire encore.

Au loin, vers les montagnes, un nuage de fumée venait de s'élever. Les arbres et la distance ne permettaient pas d'en voir l'origine. Tout ce dont Hella était sûre, c'est que ce n'était pas un incendie. D'une tape dans les côtes, elle réveilla un Isaac pensif pour lui montrer l'irrégularité du paysage. Il haussa les épaules d'un air maussade.

« C'est les soldats du roi je suppose, pour venir chercher telle ou telle taxe. De toute façon le soleil se couche, ils n'arriveront pas avant demain matin alors on verra bien d'ici là. Viens, tes parents vont s'inquiéter. »

Après s'être levé, Isaac tendit la main à son ami, en bon gentleman. C'est dans un silence religieux qu'ils rentrèrent au village.

 

La nuit venait tout juste de tomber quand ils s'arrêtèrent devant la maison où vivait Hella, le village entier semblait dormir avec ses rues désertes et silencieuses. Mais la jeune fille ne voulait pas rentrer maintenant et laisser son ami dans cet état. Elle lui attrapa la main pour l'obliger à rester alors qu'il commençait à faire volte face.

« Je ne t'ai pas répondu comme je l'aurais voulu tout à l'heure, j'étais un peu surprise que tu me sortes ça comme ça mais je tenais à te dire que moi aussi, je t' … »

Isaac plaqua sa main contre la bouche d'Hella pour la faire taire, dans un acte désespéré qui la surprit par sa violence. Il ne la libéra que quand il s'assura qu'elle n'allait pas reprendre sa phrase où elle l'avait arrêté.

«  Tu ne me dois aucune réponse, je ne t'ai même rien demandé. Je me doute que tu ne comptes pas partir maintenant et je m'en réjouis, parce que le monde est dangereux pour une jeune fille de 16 ans. Mais je ne veux pas d'une petite amourette comme les gamins qui se contentent de se tenir la main sans penser au futur. Je veux t'épouser sans devenir le type qui attend sa promise la moitié de sa vie sans être tout à fait certain qu'elle va revenir. Pourtant, si tu me le demandes, je pourrais le faire. C'est ce que tu veux ?»

Hella voulait dire oui mais sa tête répondit par la négative. Peut-être parce qu'elle ne l'aimait pas assez ou, au contraire, parce qu'elle l'aimait trop. Isaac resta fort, ne montrant aucune émotion. Il la salua brievement et partit sans se retourner. L'amnésique leva la tête pour ne pas pleurer.

 

La porte d'entrée à peine refermée, Hella se retrouva assaillie par l'odeur d'un bon repas qui la fit saliver, suivi par les cris d'une petite furie blonde qui lui sautait dans les bras. Quelques secondes dans cette maison lui faisaient oublier tous les problèmes de la vie, comme un cocon protecteur où rien de mal ne pouvait arriver. C'était cette ambiance, plus que tout le reste, qui lui donnait envie de rester pour toujours. Alyona arriva pour calmer ses deux filles, sous prétexte qu'un patient dormait à l'étage. Quand Hella demande des détails, sa mère d'adoption lui expliqua qu'en ramenant le mouton à la bergerie, Simon, le frère aîné du couturier, était tombé dans un fossé et s'était cassé une jambe. Décidément, cet animal était maudit. Daniel les appela depuis la cuisine où il commençait déjà à servir le repas. Il releva la tête pour saluer la retardataire, s'arrêtant dans son geste pour y préférer une tout autre remarque :

« On ne m'a pas dit que tu t'étais blessée dans la rivière.

- Quoi ? Où ça ? »

Alyona attrapa le visage de sa fille pour l'observer de plus près, tandis que son mari arrivait déjà avec de l'alcool et des compresses. Hella se souvint alors de s'être écorché dans la forêt. Rien de grave, mais la nature des guérisseurs ne permettait pas la moindre insouciance. Heureusement, il ne lui fallut que quelques minutes pour les rassurer et éviter un bilan de santé complet. Les plaintes de Raya qui voulait manger l'avaient aussi beaucoup aidés.

Le repas se passa dans une bonne humeur habituelle, personne n'abordant l'incident de l'après-midi ou quoi que ce soit de déplaisant. Hella profita d'une discussion animée pour observer la petite Raya qui essayait de trier dans son assiette ce qu'elle aimait de ce qu'elle n'aimait pas. Avec ses cheveux blonds et ses grands yeux verts, elle avait tout de son père. Pourtant, quelque chose dans les expressions de son visage ne pouvait que rappeler sa mère. Alyona avait les mêmes cheveux bruns qu'Hella, mais leur ressemblance s'arrêtait là puisque la jeune fille avait les yeux marrons, le nez bien droit et légèrement relevé, des lèvres minces et des sourcils fins et sombres ; tout le contraire de sa mère d'adoption. En fait, elle ne ressemblait à personne, même si les gens s'amusaient à dire qu'elle avait « le même éclat brillant dans les yeux que sa mère » et « les mêmes mains que son père » - elle ne savait d'ailleurs toujours pas scette dernière remarque était vraiment un compliment -. Malgré tout, elle ne pouvait pas s'empêcher de se dire que, quelque part, il y avait une femme et un homme dont elle avait les traits.

Tiré de ses pensées par une mélancolie qu'elle voulait fuir, Hella remarqua les regards en biais que lui lançaient ses parents d'adoption. Le genre de comportement qui cachait quelque chose. Pris sur le fait par un regard interrogateur, ils passèrent à l'attaque. Daniel lança l'offensif d'un air nonchalant.

« En parlant des tomates du jardin, tu es rentrée tard ce soir.

- Oui.

- Il s'est passé quelque chose de plus dont nous n'aurions pas été mis au courant ?

- Non, j'ai juste mis longtemps à sécher.

- Seul avec Isaac, oui. C'était bien ? »

D'un haussement d'épaule désintéressé, Hella destabilisa l'homme qui resta coi. Mais alors qu'elle pensait avoir gagné le droit au silence, Alyona contre-attaqua.

« Vous avez parlé de quoi ?

- De tout, surtout de rien vu nous ne sommes pas deux bavards. On aime resté silencieux, en d'autres termes.»

Son sous-entendu ne fit pas mouche, preuve ultime s'il en était que ses parents voulaient lui soutirer des informations. Hella prit les devants, coupant la parole à son père qui semblait reprendre du poil de la bête.

« Vous avez vu le nuage de poussière vers le col ? On va avoir de la visite demain.

- Oui, on s'est déjà mis d'accord pour les attendre sur la place à la première heure demain matin, répondit rapidement David. C'est très héroïque ce que tu as fait avec le mouton, mais la manière dont Isaac t'a sorti de l'eau devait l'être tout autant, tu nous racontes ? »

Tentative de distraction échouée, la défense perd du terrain et se rabat vers la gauche pour prendre un otage.

« Pas tant que ça. Et ta journée, Raya ? 

- Ecole, jeux, bain, répondit Alyona. Tu n'as vraiment rien à nous dire de plus ?»

Hella fit non de la tête. La pauvre Raya assistait à cette discussion sans la comprendre, des petits gémissements frustrés commençaient à s'échapper de sa gorge. Daniel arriva en soutien, acculant leur fille adoptive dans un coin de mur.

« C'est vraiment un chic type, cet homme. Qui plus est, il est pas mal fait. »

Hella sentait les étaux d'un piège se refermer sur elle, sans qu'elle ne comprenne d'où il pouvait venir. Ne trouvant rien à répondre, elle se contenta de fixer le couple en attendant le coup final. Daniel essayait vainement de cacher un sourire derrière sa barbe naissante, trouvant dans la parole la seule solution pour se calmer.

« Isaac est venu nous voir ce matin. Tu te doutes que, vu son caractère, il a tenu à me demander ta main avant même de t'en parler. Mais je commence à me demander s'il a osé ... »

Un très long silence suivit cet aveux. Hella s'adossa contre sa chaise, vidée de toute force. Elle tapota la table de l'index pour essayer de vainement de garder son calme.

- Si … Il l'a fait..., finit-elle par murmurer dans un souffle.

- Félicitation ! »

Son hésitation avait peut-être été vu comme de la gêne, mais Hella coupa net à cette euphorie en abattant son poings sur la table. Un geste qui lui sembla tout de suite stupide par sa théâtralité mais qu'elle ne pouvait annuler.

« J'ai refusé. Je n'épouserais personne … Et de toute façon cela ne vous regarde pas. »

Elle se leva, quittant la table sans attendre la moindre remarque, pour aller s'enfermer dans sa chambre. Des larmes silencieuses commençaient déjà à couler le long de ses joues quand elle libéra sa frustration en reversant sa table de nuit.

 

Quand on toqua à la porte, Hella était calmée et un peu honteuse. Alyona passa doucement la tête par la porte entrouverte pour tâter le terrain. Voyant sa fille allongée sur son lit, les bras croisés mais la mine plus triste que boudeuse, elle se permit d'entrer pour s'asseoir au bord du lit, bien qu'aucune invitation n'ait été prononcée.

« Tu sais, ce n'est pas grave si Isaac ne te plaît pas. Tu as tout ton temps pour trouver quelqu'un qui te convienne. On ne voulait pas te forcer.

- Ce n'est pas le problème, objecta Hella en essayant de garder le contrôle des intonations de sa voix.

- Alors … est-ce que tu veux me parler de ce qui te préoccupe vraiment ? Répondit-elle d'une petite voix timide.»

Hella resta un moment silencieuse, posant sa tête sur l'épaule de sa mère qui referma les bras sur elle. Il lui fallait encore un moment avant de pouvoir assumer sa décision et la rendre réelle par les mots. Quand la vérité jaillit, ce fut sans le moindre apparat.

« Je ne peux pas penser à ça parce que je dois partir pour découvrir qui je suis mais je ne veux pas, la solitude me fait trop peur. »

Les bras d'Alyona serrèrent plus fort la jeune fille, comme pour empêcher une force invisible de l'enlever. Pendant une seconde, Hella craignait de la voir s'énerver ou lui interdire de quitter le village avant sa majorité, sa voix conserva pourtant le timbre calme et liquide qui la caractérisait.

«  Oh … je vois. Je savais que ce jour allait arriver, même si j'avais fini par croire que tu pourrais vivre sans souvenir, à force d'en construire de nouveau. Mais bon. C'est ton choix et je le respecte, tout comme Daniel le respectera. Si tu te sens capable d'attendre une année de plus, alors nous aurons le temps de préparer notre départ en bonne et due forme.

- notre ?

- Si tu l'acceptes, nous irons avec toi. Tu es ma fille et je ne compte pas te laisser partir seule dieu sait où. »

L'émotion attrapa Hella à la gorge qui ne put que se jeter dans les bras de sa mère. A partir de maintenant et ceux jusqu'au jour du départ, rien d'autre ne devait avoir d'importance. Elle avait un an pour se préparer à quitter le seul endroit qu'elle n'ai jamais connu.

 

Un bruit étrange réveilla Hella en sursaut. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il avait s'agit d'un cri. Son désir de rester en sécurité dans son lit se mua rapidement en une inquiétude plus grande encore ; elle devait s'assurer que sa famille allait bien. Ce n'était pas la première fois qu'une telle chose arrivait, des patients se réveillaient en hurlant régulièrement, mais cette fois-ci le frisson glacé d'un mauvais pressentiment lui avait parcouru l'échine. La maison commençait déjà à se réveiller, des bruits de pas résonnaient dans le couloir, on ouvrit la porte de la chambre avec fracas. Daniel lui ordonna de rester dans sa chambre, sans y ajouter la moindre explication. Hella ne lui avait jamais vu une expression aussi dure, même dans les pires situations. Elle y repensa bien après qu'il soit reparti, quand elle entrouvrit la porte pour entendre ce qu'il se passait dehors. Des fracas de vaisselle, des cris de toutes sortes, quelques phrases à peine compréhensible. Hella réussit à entendre un « donnez-nous les femmes de cette maison. » avant de refermer la porte. Son corps glissa lentement le long du mur, s’arrêtant dans une position fœtale qui limitait à peine ses tremblements. Tout ça devait être un rêve. Un horrible cauchemar dont elle allait se réveiller bientôt. Un cri d'enfant, l'anima d'un spasme plus violent que les autres. Elle se releva.

Dehors, l'obscurité de la nuit avait laissé place aux couleurs orangées d'un incendie. Comme un automate, Hella ouvrit la porte et descendit les escaliers en courant. Daniel était étendu sur la table de la cuisine, peut-être mort ou inconscient. Elle ne sourcilla pas et continua à marcher d'un pas vif vers la porte défoncée. Aucune pensée ne la traversait, elle se contentait d'agir.

Le village d'habitude si calme et tranquille était tombé dans le chaos. Les flammes grandissaient de plus en plus vite, lui donnant des allures de théâtre d'ombres macabre. Tout ce qu'Hella pouvait distinguer, c'était Alyona qu'une silhouette en armure traînait par les cheveux. Elle prit une grande inspiration pour réussir à hurler plus fort que les autres. La silhouette se retourna et la toisa quelques interminables secondes. Hella bouillonnait de l'intérieur d'un sentiment qu'elle ne comprenait pas, ses muscles commençaient à se contracter en voyant le soldat s'approcher, dévoilant les armoiries du royaume.

« Hella ! Fuis ! »

La jeune fille se retourna vers sa maison qui commençait aussi à prendre feu. Daniel était sur le seuil de la porte, le visage en sang, les yeux rivés vers le combat à venir. A côté de lui, adossé au mur extérieur, gisait le petit corps de Raya. Hella n'entendait plus rien, surtout pas ses éventuelles pensées. Juste son cœur qui battait lentement. Elle fit face au soldat qui brandissait son épée maculée de sang. Son corps continuant de réagir de lui-même. Elle attrapa le bras de l'homme pour le dévier de sa trajectoire et lui fracassa le nez avec la paume de la main. En tombant, il lâcha son épée qui glissa dans la main d'Hella, prête à l'attraper depuis le début. Elle lui trancha la gorge d'un geste sec et méthodique.

Voir un de leur camarade tomber avait fait réagir deux soldats, les autres étant trop occupé à massacrer une population innocente et désarmée. Mais il en fallait plus pour lui faire peur, Hella avait une conscience parfaite de ce qui l'entourait, elle pouvait prévoir les mouvements de ces deux soldats uniquement en regardant leur positionnement. Cette omnipotence désarçonna ses deux adversaires dès leur première attaque, ils se firent plus vigilant que leur défunt camarade, juste assez pour l'obliger à venir les chercher. Le combat n'en restait pas moins parfaitement déséquilibré, Hella créa une ouverture grâce à une feinte et embrocha le premier, bien avant que le deuxième ne lui arrive dessus. Il hésita une seconde à attaquer, signant ainsi son arrêt de mort.

A la vue de son œuvre, le vide en elle se fit submerger par les sentiments qu'elle avait involontairement scellés. Hella lâcha l'épée qui ne sembla faire aucun bruit tant les hurlements environnant retentissaient forts dans l'air. Soudain, elle réalisat sans y croire, se persuadant qu'elle ne pouvait pas être la personne responsable de ces trois cadavres. C'était impossible. Elle était incapable de faire du mal à une mouche. Elle ne savait même pas se battre. Les tremblements la reprirent et la tétanie avec. Elle tourna la tête vers son père en quête de réconfort mais il était allongé au sol, la main tendu vers le corps de Raya sans réussir à la toucher. De l'autre côté, Alyona était en état de choc, réussissant à peine à articuler les mêmes mots que Daniel quelques minutes auparavant. Hella fit un pas en avant pour aller la chercher, sa mère se fit plus insistante.

« Tu as une chance de t'en sortir si tu pars maintenant alors ne te retourne pas ! »

Jamais Hella n'appliqua si justement un ordre. Animé par un instinct de survie qui ne pensait qu'à l'éloigner de ce village, il ne lui fallut qu'un instant pour abandonner son courage, sa dignité et sa mère pour s'enfuir. La nuit redevint noire et silencieuse mais Hella continua à courir jusqu'à ne plus sentir ses jambes. Les sanglots qui l'animaient étaient incontrôlables. Elle ne savait pas si sa mère avait fuit aussi, ni comment aller Isaac. Peut-être son père et Raya étaient-ils vivant aussi, seulement inconscient. Pourtant, même si l'incertitude la rendait malade, Hella n'arrivait pas à faire demi-tour, ses pas l'éloignant toujours un peu plus du village. Elle ne s'arrêta qu'en entendant la rivière. Là elle se dépêcha de plonger les mains dans l'eau pour les nettoyer du sang qui les souillaient, ainsi que celui qu'elle sentait couler le long de son visage. Mais, quoi qu'elle fasse, elles ne lui semblaient jamais propre, comme si l'horreur de son acte s'était à jamais greffé dans sa peau. Hella se boucha les oreilles pour ne plus entendre les cris qui résonnaient dans sa tête, sans oser y répondre par celui qui brûlait sa poitrine.

 

Hella se réveilla à l'aurore, les vêtements trempés par la pluie. Les restes d'adrénaline de la veille la firent sursauter, persuadée qu'on allait lui tomber dessus d'une seconde à l'autre. Cependant, il n'y avait personne, pas même un oiseau. La forêt n'avait jamais été aussi silencieuse. Elle n'avait jamais été si seule. Ses pas la guidèrent vers le seul endroit qu'elle connaissait, elle se rendit alors compte qu'un tel lieu n'existait plus. Toutes les maisons étaient en ruines, la pluie ayant noyée les dernières flammes. De la forge il ne restait que l'enclume et quelques poutres, juste assez pour imaginer dans quelles circonstances chacun de ses occupants étaient morts. Hella le faisait sans le vouloir en tout cas, les images s'imposant à elle sans lui demander son avis. Le père d'Isaac avait essayé d'attraper un marteau mais un carreaux d'arbalète avait eu raison de lui avant, le fils aîné en avait profité pour attaquer un des soldats dans le dos avant de rentrer dans la maison, sûrement déjà en feu puisqu'une poutre lui était tombée dessus. Une partie des murs avait survécu, au point que la jeune fille pouvait marcher dans le couloir à ciel ouvert. Devant une chambre à la porte enfoncée, un corps carbonisé et un deuxième à l'intérieur, en boule dans un coin. Hella sentit ses jambes défaillir et se laissa tomber à genoux. Son estomac se contractait douloureusement mais rien ne pouvait en sortir. Le feu avait démarré de la chambre du plus jeune frère, on avait jeté une torche par la fenêtre et celle-ci avait roulée jusqu'à la porte. Isaac avait alors essayé de libérer le gamin en enfonçant la porte, sans savoir qu'une vague d'air brûlante allait le tuer sur le coup. Comment l'aurait-il su ? D'où elle-même pouvait-elle le savoir ?

Hella passa dans chaque maisons du village fantôme, ne s'arrêtant que devant la sienne. Aucun des trois membres de sa famille n'avait bougé d'un centimètre, comme si cette scène s'était figée avec son départ. La jeune fille s'agenouilla devant sa mère pour réajuster sa robe dans une position plus décente, ignorant le liquide blanc qui coulait le long de sa cuisse. Puis elle resta là, immobile comme une statue, le regard absent. Devant ses yeux ne défilaient que les souvenirs de la veille, comme si le temps s'était arrêté cette nuit là et qu'on l'avait enfermé dans une boucle infernale où, quoi qu'elle fasse, elle ne pourrait que revivre ce moment sans jamais sauver quiconque. La jeune fille sentit à peine qu'on soulevait son corps de terre et qu'on l'éloignait du village. Elle se sentait si peu touchée par ce qui pouvait lui arriver qu'elle avait l'impression de se voir à la troisième personne, assistant à une vie qui n'était plus la sienne, dans un monde qui n'existait plus vraiment.

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